09Avr2020
Une crise « comme les autres » la tribune d’Arnaud Dupui-Castérès et de Philippe Manière dans Les Echos
Si la crise que nous vivons a bien des spécificités par rapport aux précédentes, les entreprises doivent la gérer « comme les autres », selon Arnaud Dupui-Castérès et Philippe Manière. Notamment, en préservant leurs capacités de production, quelles qu’elles soient, et en préparant, dès à présent, le retour à la normale.
La brutalité, l’ubiquité, et les immenses conséquences sur nos vies de la crise du Covid-19 en font un événement incomparable. Pourtant, du point de vue du professionnel, elle est une crise qui doit être abordée « comme les autres », conformément aux règles de l’art, qui sont à peu près immuables. Cela emporte, à notre sens, trois obligations pour le manager comme pour le décideur public.
La première est de bien comprendre pourquoi tout a changé. Peu d’observateurs s’en avisent, et pourtant, comme ce fut le cas dans pratiquement toutes les crises que nous avons connues depuis vingt ans, c’est bien moins la crise elle-même qui est perturbatrice que la gestion de la crise. Si l’économie mondiale est aujourd’hui à l’arrêt ou presque, si nous avons basculé dans une vie complètement différente, ce n’est ainsi pas directement à cause du Covid-19, mais à cause des mesures qui ont été prises pour l’enrayer. Entendons-nous bien : nous ne disons pas que ces mesures ne devaient pas être prises – elles étaient inévitables et nécessaires. Mais c’est un fait que le nombre des victimes (environ 0,005 % de la population mondiale infectée et moins de 0,00025 % tuée) ne pourrait à lui seul stopper des industries entières ni bloquer la quasi-totalité du commerce mondial. Ce n’est pas la crise sanitaire qui a appuyé sur le bouton « off ». C’est nous qui avons appuyé sur ce bouton pour enrayer la crise sanitaire.
Manifester toute l’attention possible à ses salariés
La deuxième obligation est d’en tirer les bonnes conclusions opérationnelles pour la période de crise. La bonne nouvelle qui découle du constat précédent, c’est que la fin de nos tracas, en tout cas le début de leur fin, surviendra lorsque nous le voudrons : il suffira… de pousser le bouton « on ». Une partie de la production perdue le sera à jamais – vols ou nuits d’hôtel annulés, etc. – et le redémarrage sera compliqué par les perturbations dans la chaîne de valeur. Mais c’est un fait que la production, pour l’essentiel, redémarrera quand les pouvoirs publics oseront donner le « go », et que nos capacités de production ne seront que marginalement entamées. C’est toute la différence avec, par exemple, une guerre, dont on ne sait pas quand elle s’arrêtera et qui occasionne des dommages gigantesques. De ce point de vue, et fort heureusement, non, Monsieur le Président, « nous ne sommes pas en guerre » !
Le décideur public comme le manager doivent dès lors avoir, durant la crise, un objectif quasiment obsessionnel : préserver au maximum ces capacités de production pour que le redémarrage soit aussi rapide et fort que possible le moment venu. Cela passe par les mesures financières impulsées par l’Etat (report d’échéances, facilités bancaires, chômage partiel indemnisé…) mais aussi par des mesures de mises en oeuvre par les employeurs. Aujourd’hui, manifester toute l’attention possible à ses salariés, qu’ils soient ou non en situation de produire, veiller à leur santé et à leur confort, s’ils travaillent, et à leur équilibre, s’ils en sont empêchés, est à la fois un devoir moral, et un investissement.
Etre prêt au redémarrage
Enfin, la troisième obligation est de travailler dès maintenant sur l’« après-crise ». Parce qu’elle nous fait violemment entrer dans une sorte d’univers « alternatif », la crise est aliénante : on peine à se projeter dans l’« après ». Pourtant, notre expérience est qu’on constate presque toujours, ex-post, qu’on s’était exagéré sa durée. Il n’est donc jamais trop tôt pour penser à la suite, ce qui suppose qu’on se force à bien dissocier la gestion opérationnelle de l’urgence et la planification du retour à la normale. Cela veut dire évaluer les forces et les faiblesses de son organisation telles qu’elles sont apparues à l’occasion de la crise (en particulier, les vulnérabilités de sa réputation), afin de capitaliser sur les unes et de corriger les autres, améliorer la qualité de ses process, réévaluer la solidité de ses partenaires à la lumière de leur capacité à encaisser la crise. Agir en leader face à la crise, c’est certes tout faire pour revenir à la normale et être prêt au redémarrage. Mais c’est aussi s’enrichir de l’expérience de la crise pour préparer celle d’après. Ce n’est pas oublier le plus rapidement possible…
Arnaud Dupui-Castérès est directeur général, et Philippe Manière, président de Vae Solis Communications.