01Avr2019
Porte-parole : l’étoffe des hérauts ou mission impossible ?
Personnage central dans la culture anglo-saxonne, le porte-parole reste encore marginal dans l’univers des entreprises et administrations françaises. En France, seuls quatre ministères, tous régaliens, sont dotés d’un porte-parole et rares sont les groupes ou entreprises à afficher dans leur organigramme un titulaire officiel. Pourtant, dans notre société de communication permanente, où les médias traditionnels sont concurrencés par la puissance des réseaux sociaux, toute institution publique ou privée gagnerait à s’assurer une communication incarnée et réactive : l’essence même du porte-parole.
Le rôle originel du porte-parole est de porter dans le débat public la voix de l’institution qu’il représente. Il est un intermédiaire privilégié et légitime entre son organisation et ses différents interlocuteurs : les médias et l’opinion publique, l’interne, les clients et partenaires, les concurrents et adversaires. Pour autant, il n’est pas un simple héraut. Il est un acteur qui incarne, et a fortiori humanise, le message qu’il véhicule. Il permet surtout, après que le dirigeant a délivré le message dans un grand média, de le décliner et d’en démultiplier ainsi la portée et l’impact.
Légitimer et humaniser
Le porte-parole, par sa fonction cumulée de communicant et de représentant officiel de l’institution peut se permettre d’avoir un message d’attente, des réponses partielles, voire de ne pas savoir répondre à toutes les questions. A contrario, en pleine crise, un ministre ou un dirigeant d’entreprise qui ferait la tournée des médias pour répondre que la cause de la crise est inconnue et qu’il n’a pas encore trouvé la solution pour éviter que l’incident se reproduise rajoutera une dose d’inquiétude au moment où l’opinion publique a besoin d’être rassurée.
Autre atout majeur : si le porte-parole doit veiller à ne communiquer que des informations fiables et précises, il peut arriver qu’au cœur de la crise, la vérité d’un jour soit démentie le lendemain. Il est alors plus aisé pour l’institution de dédire son messager et de redonner la parole au dirigeant lorsque la situation est stabilisée et que les informations communiquées sont devenues incontestables.
Lorsqu’une crise éclate, la préoccupation première des dirigeants est d’évaluer la situation afin de la résoudre pour rétablir au plus vite la confiance. Ces responsabilités sont le cœur de métier des fonctions de direction. La gestion opérationnelle doit absolument être accompagnée d’une bonne stratégie de communication, afin de préserver, quoi qu’il arrive, le capital réputation de l’institution.
Un atout dans la crise
Exposer à la pression médiatique les responsables chargés de résoudre opérationnellement la crise peut être risqué. On ne peut à la fois se consacrer entièrement à trouver et mettre en œuvre des solutions pour sortir de la crise et affronter, avec recul et concentration, la tempête médiatique. Le porte-parole permet ainsi à l’organisation de communiquer, sans exposer directement les dirigeants.
Rôle délicat, puisqu’il consiste à porter non pas ses propres opinions mais celles de l’institution qu’il représente, le porte-parole s’expose aux moments où rares sont ceux qui osent affronter les journalistes et leurs questions.
Certains pensent encore qu’un communiqué, un tweet ou une citation attribuée impersonnellement à « la direction » est un vecteur suffisant pour porter ses messages. En période de crise particulièrement, alors que les journalistes sont abreuvés de sources diverses à la fiabilité variée, le porte-parole, identifié avec son prénom, son nom et cette fonction officielle aura une voix plus prégnante. Dans la presse écrite, une parole attribuée nommément aura beaucoup plus de force que la même information vaguement sourcée « dans l’entourage du dirigeant » ou « au sein de l’entreprise ».
Le porte-parole pourra aussi, par ses interviews audiovisuelles représenter physiquement l’institution. À l’heure où les réseaux sociaux, Twitter mais aussi Instagram, Pinterest ou Snapchat connaissent un succès retentissant, la communication se réalise également par l’image, qui constitue paradoxalement le langage le plus percutant.
Le fusible
Le temps médiatique, instantané et impatient, n’est pas le temps de la résolution de la crise, qui lui exige analyse et réflexion. Les quelques heures, jours ou semaines de délai où le porte-parole prend en main la communication et témoigne de la mobilisation de son organisation, permettent aux opérationnels de prendre le temps de la réflexion et de mettre en œuvre le plan d’actions adapté.
On reproche souvent aux porte-parole de pratiquer la langue de bois. Certes, la pratique n’est pas recommandée mais elle est préférable à la gaffe qui viendrait ajouter une crise dans la crise. La prudence est la vertu la plus importante dans cette fonction exposée. À défaut, l’erreur de communication se paiera chère, et le porte-parole sera le fusible que l’on n’hésitera pas à sacrifier pour protéger l’institution.
Nouvellement élu, le Président Emmanuel Macron avait décidé de doter à nouveau l’Elysée d’un porte-parole. Nommé à ce poste en septembre 2017, l’éditorialiste Bruno Roger-Petit n’aura jusqu’à l’été 2018 accordé aucune interview écrite, radio ou télévisée, ni tenu aucune conférence de presse. Conséquence : l’annonce de sa déclaration télévisée en plein cœur de l’affaire Benalla en juillet 2018 après 11 mois de fonction, loin d’apaiser, a été la marque de la gravité de la situation. La communication du porte-parole, qui aurait dû être banale est devenue en soit un événement. Plus grave, le porte-parole, en affirmant avec force et solennité des « vérités » qui ont été contredites par la presse dans les heures qui ont suivi, a aggravé la crise.
Dans l’affaire Lactalis qui a éclaté fin 2017, les premières semaines ont été marquées par l’absence de communication du Groupe, fidèle à son goût du secret. Finalement, en janvier 2018, Michel Nalet, le porte-parole du groupe alimentaire s’est astreint à l’exercice compliqué et risqué de la conférence de presse. Certes tardive, elle a permis de faire baisser la pression médiatique pesant sur Lactalis et restera un exemple probant d’une communication de crise incarnée par un porte-parole crédible et compétent.
À l’heure de la lutte contre les fausses informations, où chaque citoyen est, par le biais des réseaux sociaux, un vecteur de l’information, la professionnalisation et l’incarnation de la parole par le développement des fonctions de porte-parole devraient être une piste prioritaire pour rétablir la confiance de l’opinion dans la communication institutionnelle publique et privée.
Chronologie des porte-parolats ministériels
Seuls quatre ministères sont dotés d’un porte-parole :
• Le ministère des Affaires étrangères, depuis 1990, créé par Daniel Bernard, diplomate, sous Roland Dumas ;
• Le ministère des Armées, depuis 1998, créé par Jean-François Bureau, administrateur civil, sous Alain Richard ;
• Le ministère de la Justice, depuis 2007, créé par Guillaume Didier, magistrat, sous Rachida Dati ;
• Le ministère de l’Intérieur, depuis 2008, créé par Gérard Gachet, journaliste, sous Michèle Alliot-Marie.
Guillaume Didier, associé-directeur général délégué et Bastien Vandendyck, consultant Vae Solis