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    31Oct2019
    Olivier Babeau : « Dédramatisons l’intervention des actionnaires les plus militants »

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    Président fondateur de l’Institut Sapiens, la première think tech française créée en 2017, Olivier Babeau est l’auteur d’un récent rapport sur les investisseurs activistes. Requins de la finance pour certains, défenseur de l’engagement actionnarial pour d’autres, le cas des fonds activistes divise l’écosystème financier depuis de nombreux mois. Décryptage d’une tendance bien plus complexe qu’il n’y parait. Propos recueillis par Florian Ridard, consultant.

    VSC : Si le nombre d’opérations impliquant les fonds activistes croit dans toutes les zones du monde, le volume des campagnes menées sur le Vieux Continent (Nestlé, Pernod-Ricard, EssilorLuxottica, etc.) s’accélère tout particulièrement depuis deux, trois années. De nombreux experts s’accordent à dire que l’Europe constituera la prochaine « zone de jeu » de ces investisseurs. Quel est votre avis ?

    La dynamique de l’engagement actionnarial s’est effectivement accrue récemment en Europe et devrait le faire encore à l’avenir, comme je le montre dans le rapport qu’a publié l’institut Sapiens que je préside. Cela s’explique par plusieurs raisons : certaines s’expriment de façon ‘positive’ et tiennent l’extension du mouvement par lequel les actionnaires se saisissent de leurs pouvoirs ; d’autres se réalisent en réaction à divers phénomènes comme le fait qu’aux Etats-Unis le marché est probablement déjà beaucoup plus investi et les opportunités d’affaires dès lors plus matures. Pour autant, il reste certains freins non négligeables qui ralentissent l’engagement des actionnaires : par exemple en France l’interventionnisme récurrent de l’Etat, l’existence de droits de vote doubles, etc.

    VSC : Dans votre étude, vous pointez du doigt la défaillance de certaines gouvernances d’entreprises françaises, où certaines règles ne seraient pas forcément respectées (administrateurs indépendants, rémunération des dirigeants, droits de vote, etc.). Est-ce que culturellement, nos dirigeants sont prêts à reconnaitre que les activistes peuvent les aider dans le renforcement des dispositifs de gouvernance ? Et au-delà, sur la stratégie globale de l’entreprise ?

    La vraie question à se poser est de savoir si les actionnaires des entreprises françaises veulent pleinement exercer les pouvoirs qui sont liés à leur droit de propriété. A priori, évidemment oui ! C’est un comportement fort naturel : quand on réalise un investissement, on veut légitimement s’assurer qu’il est bien géré ! C’est pour cela que l’engagement actionnarial croît. Pour les dirigeants d’entreprise, cela suppose de faire évoluer leur communication et leur management dans un sens plus partenarial, moins ascendant. Beaucoup le font déjà, en réalité !
    Je crois qu’il faut par ailleurs dédramatiser l’intervention des actionnaires les plus militants. Celle-ci n’est pas systématiquement conflictuelle, au contraire. Evidemment, il n’est jamais agréable de voir ses décisions remises en cause par des personnes qu’on ne connait pas, mais c’est le jeu normal du fonctionnement de l’actionnariat d’une entreprise ! Les activistes n’ont pas toujours raison, mais la confrontation des points de vue permet d’améliorer les performances au bénéfice de tous. Les dirigeants s’y habitueront car cela leur sera utile à eux aussi !

    VSC : La communication est un volet crucial lors de ces opérations. Les investisseurs activistes déploient des moyens importants pour gagner la bataille de l’opinion, mais restent malgré tout des actionnaires minoritaires au capital de leurs participations. Selon vous, quelles sont les méthodes les plus efficaces pour convaincre et « engager » les autres actionnaires (notamment institutionnels) du bienfondé de leurs demandes.

    Les investisseurs ont développé des méthodes assez efficaces. D’abord, leurs interventions s’accompagnent généralement d’échanges directs, discrets et en confiance avec les dirigeants d’entreprise. Parfois, mais c’est en réalité l’exception plutôt que la règle, ils en viennent à donner une plus grande publicité à leurs positions, dans la presse et, à l’occasion, par la voie de lettres qu’ils publient et dont certaines sont restées connues pour leur plume vive. L’objectif des actionnaires minoritaires quand ils s’engagent dans un travail de conviction pour influencer la stratégie ou les décisions d’une entreprise, c’est de rallier le maximum de monde à leur cause. Seuls, ils ne peuvent rien. Les stratégies les plus efficaces doivent donc être choisies au cas par cas pour parvenir à ce résultat !