27Août2020
Municipales 2020 : la communication politique en temps de crise
La campagne des élections municipales pour 2020 aura été, à bien des égards, exceptionnelle et restera comme un cas qui fera date : celui d’une campagne électorale en période de crise sanitaire.
Si le début de la campagne demeure assez classique dans son déroulement, dès le 9 mars, le nouveau Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, annonce l’interdiction de tout rassemblement de plus de 1.000 personnes ; mettant ainsi un coup d’arrêt aux meetings les plus importants.
Le 14 mars, veille du premier tour des élections, le Premier ministre annonce le passage de la France au stade 3 de l’épidémie ainsi que la fermeture de l’ensemble des lieux publics jugés « non-indispensables ». Néanmoins, ce premier tour est maintenu le dimanche 15 mars. L’abstention atteindra un niveau record pour ce type d’élection : 55,25%. Le lendemain à 20 heures, le président de la République annonce le début de la période de confinement.
Dans ce contexte si particulier de crise sanitaire, comment la communication politique, d’ores-et-déjà très contrainte en période pré-électorale, s’est adaptée pour faire face aux nouveaux défis imposés par les mesures sanitaires ? Pour intéresser les électeurs à un scrutin local, alors qu’ils sont obnubilés par une crise sanitaire mondiale et que des décisions inédites viennent bouleverser leur vie quotidienne ?
Si le numérique recouvre depuis plusieurs années une part importante de la communication électorale, l’élection municipale de 2020 a marqué un véritable tournant en mettant les outils de communication digitale au service d’une communication de proximité réinventée.
Continuer d’occuper le terrain
Lors d’une campagne municipale, la communication se construit en premier lieu sur le terrain, auprès des habitants. Certes, les outils de communication traditionnels tels que le porte à porte, le tractage, l’affichage, les visites officielles etc. persistent, tant ils sont indispensables à la construction d’une relation avec la population locale et jouissent du pouvoir de l’habitude, mais l’entrée rapide dans la crise sanitaire a profondément changé la donne.
De nouveaux outils permettant de prolonger le travail effectué sur le terrain sont à la disposition des candidats. La campagne digitale doit être le prolongement de celle conçue sur le terrain. Cela peut se traduire par la mise en place d’une communication multicanale associant différents types de supports, du papier jusqu’au numérique. A titre d’exemple, le maire de Roanne à côté de Lyon, a réalisé un magazine municipal en réalité augmentée dans lequel chaque article renvoie, via une application, à une vidéo en ligne. A quand des affiches de campagne ou des tracts augmentés ?
En pleine crise du coronavirus et dans la perspective du report du second tour des municipales, les défis pour ne pas rompre le lien avec les habitants et continuer d’être visible, sont nombreux. Cette crise a poussé les candidats à aller plus loin : si les maires en place ont pu mettre en œuvre des systèmes de hotline ou, pour les plus connectés, développer des chatbots pour délivrer de l’information aux habitants, les opposants ont dû trouver le moyen de maintenir ce lien grâce à l’organisation de meetings numériques, l’installation de permanences virtuelles ou encore l’organisation de live question/réponse sur les réseaux sociaux.
Construire une communication centrée sur le quotidien des français
En parallèle du travail de terrain, la communication s’articule aussi dans la manière de s’adresser à ses électeurs, de leur faire partager une vision et un projet. Le contexte de la crise sanitaire a ouvert un nouveau défi pour la communication : parler vrai et faire vivre la proximité malgré l’impossibilité de rencontrer les habitants.
Ainsi, le partage de vidéos ou de web-séries sur des thématiques précises permettent de faire passer des messages en s’adressant directement aux électeurs. A Paris, Rachida Dati avec ses vidéos « Dati pour Paris » montre, d’une part, qu’elle occupe le terrain en allant à la rencontre de tous les habitants de la capitale et, d’autre part, qu’elle s’empare des sujets qui intéressent les parisiens au jour le jour : la vie de famille à Paris, la mobilité des parisiens, les commerces de proximité, la sécurité, etc. De son côté, Anne Hidalgo investit une nouvelle forme de narration en lançant son podcast « Paris en commun » pour présenter son programme de manière très concrète en répondant à des questions qui concernent directement les habitants : « comment vais-je pouvoir me loger à Paris ? », « comment rendre Paris plus sûre ? », « comment aider mon enfant à bien grandir à Paris ? ». Plutôt qu’un central parc à Paris, ce qui semble toucher les électeurs c’est la mise en place d’une communication concrète qui parle « vraie ».
Dans ce contexte de crise sanitaire, les candidats auront su relever le défi de la suppression des principales figures imposées (meeting, tractage, etc.) en investissant les outils numériques d’une nouvelle dimension, visant à rapprocher les citoyens des candidats par la socialisation digitale, pour en faire l’axe majeur de la campagne.
En campagne sur les réseaux sociaux
Si les outils digitaux auront été utilisés d’une manière inédite, notamment afin de discréditer un candidat en dévoilant sa vie privée, c’est l’appropriation par les candidats de ces outils, en adoptant leurs codes, qui aura marqué cette campagne.
Dans cette perspective, les candidats, même au niveau très local, ont adopté certains modes de fonctionnement des influenceurs. Les réseaux sociaux permettent aux politiques locaux, d’une part, de générer du contenu « émotionnel » et d’autre part, d’ouvrir leur propre lecture de leur campagne aux internautes, en rupture avec celle des médias traditionnels.
Les municipales, comme toute élection, sont l’occasion d’une « bataille » d’image. Dans ce contexte les réseaux sociaux sont l’un des leviers privilégiés pour rapprocher les politiques de leurs électeurs et créer de la proximité.
Sur Instagram, plusieurs stratégies peuvent ainsi être adoptées par les politiques. Véritable réseau social de l’image, Instagram peut permettre aux politiques locaux de façonner la leur : plus « jeune » et connectée. Ils y partagent leur mode de vie, les lieux qu’ils fréquentent et postent des photos attractives de leur ville. En bref, ils alimentent leur storytelling, humanisent leur campagne et attestent de leur ancrage local. C’est le cas de Gaspard Gantzer à Paris qui s’affiche en terrasse de café, aux fourneaux dans son appartement parisien ou encore à la sortie de son footing hebdomadaire. La maire de Paris, Anne Hidalgo valorise également régulièrement son action pour la ville via la fonction « stories » d’Instagram. C’est un moyen pour les candidats de se montrer dans le feu de l’action en partageant leur agenda : visites de terrain, réunions avec leurs équipes, meetings etc. Enfin, la fonction « live » du réseau social met directement en relation le politique, sans filtre, avec leurs potentiels électeurs. Fonction intéressante dans le contexte de crise du politique pour rétablir confiance et transparence.
Une campagne pour rien ?
Au moment où nous écrivons ces lignes, il semble prévu que le second tour des élections municipales sera reporté en octobre. Dans cette situation, quid de la sincérité du scrutin ? Faudra-t-il relancer l’élection depuis le départ ? Aura-t-on assisté à une campagne exceptionnelle pour… rien ?
S’il nous est difficile de répondre à ces questions à ce stade, une chose est certaine, le basculement vers une communication numérique lors des élections locales, jusqu’alors rétives à ce changement, aura bénéficié d’un grand coup d’accélérateur en raison de la crise sanitaire du Covid-19. Reste bien entendu à déterminer si ce changement est uniquement conjoncturel ou pleinement structurel. Dans cette perspective, les prochaines élections locales de 2020 et 2021 apporteront un éclairage déterminant.
Cet article rédigé par Ewen Mahé et Suzanne Letren consultants chez Vae Solis Communications est à retrouver dans l’édition 2020 de 365°, le news tank de Vae Solis Communications.