12Mai2020
MBS prince de Newcastle : opération footballwashing, la tribune de Bastien Vandendyck et de Valentin Ducros pour Les Echos
Comme ses homologues qatari et émirati, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane va se doter d’une institution sportive au rayonnement international qui servira à redorer son image. Mais attention, préviennent deux consultants en communication, communiquer dans le sport est une entreprise compliquée…
Si l’achat de club de football professionnel semble être devenu une lubie pour les milliardaires en mal de sensation, certains ont cependant de réels projets à long terme pour ces organisations sportives qui profitent d’une visibilité mondiale.
Certains de ces projets, d’ailleurs, s’appuient sur une volonté sportive et économique, l’un allant difficilement sans l’autre. D’autres, sont le moteur d’ambitions politiques majeures, au point, comme pour le rachat du Paris-Saint-Germain par le Qatar, d’être le pilier d’une politique de communication de grande envergure, ou comme le dirait Joseph Nye dirait : un outil de soft power.
La puissance du football réside dans son public. Le sport roi touche massivement l’ensemble des strates des sociétés de chaque continent. 3,572 milliards de personnes ont suivi la Coupe du monde 2018 de laquelle l’équipe de France est sortie vainqueur. La Premier League, championnat le plus suivi au monde, est rediffusé dans 188 pays et sa saison est suivie par plus d’un milliard de personnes à travers le monde. Des chiffres qui après avoir aiguisé l’appétit des fonds privés a désormais ouvert celui des États.
Une décision (géo)politique
Le football s’est progressivement transformé et est aujourd’hui une arme géopolitique. L’organisation de la Coupe du monde donne lieu à des luttes d’influence dans les coulisses de la Fifa. Depuis le début du millénaire, et à l’exception de l’édition de 2006 en Allemagne, son organisation n’a cessé de s’habiller d’arrière-pensées politiques : célébration de l’Asie en 2002 et de l’Afrique en 2010, justification de l’essor des BRICS à Rio en 2014 et Moscou en 2018 et enfin légitimation et reconnaissance du Qatar en 2022.
Pléthore de raisons expliquent le choix du prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé « MBS », de jeter son dévolu sur le club anglais de Newcastle. Il s’agit d’un club de Premier League, donc massivement exposé aux yeux d’un public international. L’aspect économique est ici décisif. La Premier League est le championnat le plus riche et le plus cher du monde. Le montant total des droits TV s’élève à plus de 3 milliards d’euros, entre les droits nationaux et les droits internationaux. Toutefois sur le plan sportif, le club n’arrivant plus à renouer avec sa gloire passée et en cas d’échec, il ne pourra donc être imputé aux Saoudiens, par leur mauvaise gestion, d’avoir détruit un club compétitif.
Outre son prix attractif pour un club anglais – près de 345 millions d’euros –, le club affrontera régulièrement Manchester City, propriété de l’émirati Mansour bin Zayed al-Nahyan. Un match dans le match opposant le leader saoudien et le chef d’État émirati Khalifa bin Zayed Al-Nahyane, aîné et mentor du prince héritier. Un club pour « tuer le père » donc, mais également pour battre son ennemi qatari. En effet, si l’aventure sportive des Magpies est un succès, ils seront amenés à lutter face au Paris Saint Germain pour la suprématie européenne. Une rencontre qui prolongerait l’affrontement religieux et géopolitique entre l’Arabie saoudite et le Qatar et donnerait raison à George Orwell qui, en détournant Carl von Clausewitz, affirmait que « le football international est la continuation de la guerre par d’autres moyens ».
Forts enjeux de communication
Pour l’œil averti du communicant, la décision saoudienne est sans équivoque : redorer son image dans un « footballwashing » à peine dissimulé. À l’image de ses voisins qatari et émirati, une fois encore, l’Arabie saoudite tente de diversifier son économie et par la même occasion reconstruire son image. Pour cela, il mise principalement sur le sport : avec l’organisation, sur ses terres, du Dakar durant les cinq prochaines années ou la Supercoupe d’Espagne, l’Arabie se dote de produits d’appels afin d’élargir son influence.
Le plus dur commence pour l’Arabie saoudite. Communiquer dans le sport est une entreprise compliquée. D’abord parce qu’en achetant un club comme Newcastle, les Saoudiens devront composer avec l’Histoire d’un club centenaire et avec des supporteurs fidèles aux valeurs qui y sont attachées. Aucun faux pas ne leur sera alors pardonné.
Ensuite parce que dans le football, les résultats sont lents. Ni le PSG, ni Manchester City n’ont à ce jour gagné la Champions League, et ce malgré une montagne d’investissements plus onéreux les uns que les autres. Ils devront alors garder à l’esprit qu’en matière de « footballwashing », les mésaventures sont plus nombreuses que les réussites. Les cuisants échecs du cheikh qatari Abdallah ben Nasser ben Khalifa Al Thani à Malaga, de l’azéri Hafiz Majid Mammadov à Lens ou du chinois Wing Sang Li à Sochaux sont là pour le rappeler.
Retrouvez l’intégralité de la tribune ici.
Bastien Vandendyck et Valentin Ducros sont consultants chez Vae Solis Communications.