10Juil2020
Les organisations face aux fractures : la communication en première ligne
Attentats, grèves, manifestations, incendies parfois, et bien entendu, désormais, épidémies… la vie des organisations ne peut plus se concevoir de manière linéaire, hors d’atteinte de ces crises exogènes qui se succèdent désormais à intervalles rapprochés. Le temps des organisations est aujourd’hui davantage fracturé, segmenté. Avec lui leurs process de production, donc leur santé économique, parfois leur gouvernance, et systématiquement, leur communication. Que dire, en effet, lorsque l’attention de l’opinion publique est ailleurs ? Quelles valeurs incarner ? Qui mettre en avant ? Quand parler, quand se taire ? À quoi ressemblera l’après ?
Le vertige du silence
Le premier effet visible de ces crises sur la communication des organisations est d’en suspendre le temps : les actions vis-à-vis des médias, notamment, cessent, mais au-delà, toutes les opérations, évènements, la communication interne, les affaires publiques, sont remis en question. Manifestations sportives, conférences, salons, parutions de livres, lancements, publications d’études… Combien d’évènements et de séquences médiatiques avons-nous vus être reportés ces derniers mois, du fait des grèves, des manifestations, ou du confinement du printemps 2020 ?
Pour autant, le silence – ce réflexe naturel des premières heures, des premiers jours – est un risque immense pour la survie même des organisations. Car communiquer, dans un contexte aussi sensible, et plus encore lorsque la crise dure, est un enjeu vital. Les organisations sont en effet déjà bien souvent durement touchées dans leurs opérations : c’est aujourd’hui le cas du tourisme, de la restauration, de la culture et bien d’autres encore…
Quand la priorité est ailleurs, pourquoi donc communiquer ? Avant tout, parce que lorsque le temps se tord et que les relations de fidélité des consommateurs vis-à-vis des marques se distendent par la force des choses, il est capital d’entretenir le lien autrement. En misant sur l’attachement, sur le capital émotionnel des organisations, et bien sûr, sur leur responsabilité sociale et sociétale.
Comme celles qui ont su rebondir des crises passées, il y a fort à parier que demain, les organisations qui auront su créer, entretenir, resserrer le lien avec leurs parties prenantes, tireront mieux leur épingle du jeu. Trois critères nous semblent déterminants pour cela.
Réactivité, solidarité, créativité
Dans ce contexte troublé, l’interne est à la fois la première cible et la première thématique de la communication : l’épidémie de coronavirus et les mesures de confinement prises pour y faire face ont bouleversé notre quotidien de salariés, et nous avons tous jugé (même inconsciemment) les organisations où nous travaillons à l’aune de la réactivité, du sang froid, de la détermination à nous protéger dont elles ont fait preuve. Ces qualités dans le soin apporté à l’interne constituent un premier critère de différenciation vis-à-vis de l’externe : nombre d’entreprises dont les collaborateurs ne pouvaient télétravailler ont mis en avant la batterie de mesures de protection qu’elles ont déployée vis-à-vis de leur personnel. Ces premières prises de parole ont été complétées, souvent de manière simultanée, par un deuxième volet de messages visant à rassurer l’ensemble des parties prenantes sur la poursuite de l’activité, même en « mode dégradé ».
Nous avons tous vu, en effet, les images de ces grandes surfaces dont les caisses étaient modifiées, dotées d’une vitre pour séparer les hôtes de caisse des clients, nous avons entendu le témoignage des salariés qui s’apprêtent à recevoir une prime de la part de leur employeur, et nous tous avons reçu des dizaines de messages de la part des plateformes de vente en ligne, de livraisons à domicile, de restauration, nous informant dans le même temps de la poursuite de leur activité et des mesures prises pour mettre à l’abri leurs livreurs.
Face à une crise collective et « aveugle » d’une telle ampleur, un deuxième ressort de la communication réside également dans la capacité des organisations à répondre à la demande de solidarité de l’opinion, à trouver le « beau geste », à inventer la « belle initiative », originaux et conformes à leurs valeurs, vis-à-vis de la « première ligne » : le personnel soignant. Pour apporter un peu de légèreté dans un contexte devenu si pesant, les organisations cherchent également à renforcer le lien avec leurs publics par la connivence, misant précisément sur la viralité des contenus qu’elles proposent afin de se rappeler à leur bon souvenir lorsque le lien commercial est rompu.
Des restaurateurs livrant gratuitement les hôpitaux et les EHPAD, aux acteurs de l’hôtellerie décidant d’héberger du personnel soignant, aux géants de la téléphonie qui vont équiper gratuitement des personnes isolées ou en situation de précarité, à toutes les entreprises ayant décidé de modifier leur outil productif pour fournir masques, gel hydroalcoolique, blouses, jusqu’aux applications gratuites pendant la durée du confinement… Les initiatives sont nombreuses.
Leur promotion est d’ailleurs devenue un moyen privilégié d’expression directe et désintermédiée des organisations. Cette volonté de communiquer autrement rencontre, d’une part, le besoin des médias d’alimenter des milliers d’heures d’émissions spéciales, de directs, de reportages, et, d’autre part, les nouvelles utilisations des réseaux sociaux de la part du grand public. L’association de ces deux canaux, médias traditionnels et réseaux sociaux, au rythme que nous connaissons et vis-à-vis d’un public que l’on peut considérer comme captif, avec un très fort taux de répétition et de viralisation, crée un effet démultiplicateur extrêmement puissant, inédit à ce jour, de communication 24/7, à 360 degrés.
Et le communicant, dans tout ça ?
Cette situation nouvelle fait nécessaire- ment évoluer le rôle des communicants.
Aujourd’hui plus que jamais, bien sûr, il faut les aider à prendre en compte les besoins de leurs publics, à sentir les mouvements de l’opinion, car le risque est en ce moment plus important encore que d’habitude de voir des « bad buzz » faire le tour des réseaux sociaux. Pour autant, il nous faut d’ores et déjà préparer l’ « après ». Car lorsque le confinement sera levé, nos habitudes, de consommateurs, de clients, d’entreprises, seront profondément bouleversées : les réseaux sociaux, par exemple, occupaient déjà une large place dans nos vies, et sont devenus aujourd’hui, pour beaucoup d’entre nous, notre seul lien avec l’extérieur. Qu’en sera- t-il demain ?
Quelle sera la réaction générale de l’opinion, entre prudent repli sur soi et consommation effrénée ? Les actions en faveur de l’accès aux soins et du personnel soignant, sur lesquelles se concentrent aujourd’hui les attentions de toutes les marques, deviendront-elles le nouveau marqueur de leur responsabilité sociale ? Comment les très nombreuses entre- prises impactées financièrement par les mesures de confinement affronteront- elles demain les réductions d’effectifs auxquelles elles devront consentir ?
Une chose est certaine : cette crise sans précédent conforte l’absolue nécessité de l’information et de la communication en temps de crise, une communication précise, régulière, pédagogique, absolument stratégique pour la gestion elle-même… C’est ce que nous avons pu observer, par exemple, dans la manière dont l’exécutif s’est saisi de la communication sur la crise, en créant des séquences médiatiques uniques comme des rendez-vous quotidiens, en se voulant partout : en première ligne pour diriger la réponse politique et médicale, à l’arrière pour soutenir toutes les entreprises durement affectées.
Nous le voyons : plus encore que toutes les autres « fractures » vécues par la société au cours des dernières années, l’épidémie de coronavirus du printemps 2020 a ouvert une brèche dans la communication des organisations. L’espace de quelques semaines, elle est devenue presque totalement désintermédiée, davantage focalisée sur des valeurs et sur une expression de la solidarité que sur une quelconque proposition commerciale, souvent devenue impossible. Il nous appartient désormais, en tant que communicants, de saisir pleinement les implications de cette « parenthèse » pour notre métier, afin qu’une fois l’activité reprise, nous puissions favoriser pleinement, à notre échelle, l’indispensable relance économique.
Cet article rédigé par Ludovica Giobbe, consultante senior chez Vae Solis Communications est à retrouver dans l’édition 2020 de 365°, le news tank de Vae Solis Communications.