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    03Déc2015
    Le défi lancé par la propagande de l’Etat Islamique, par Lionel Capel

    VSC

    Les récents attentats menés par l’Etat Islamique (EI) et ses branches ont fait passer cette organisation terroriste du statut de menace sinistre mais régionale à celui de prétendant au leadership du djihad mondial. Les attaques de Paris, Beirut, Tunis, Shibganj (Bangladesh) ou encore dans le Sinaï interviennent alors que le « califat » perd du terrain face aux forces kurdes et aux bombardements aériens des forces de la coalition internationale. De fait, en décrivant ces attentats terroristes comme une riposte aux bombardements en Syrie et en Irak, l’Etat Islamique a cherché à détourner l’attention tout en accroissant sa légitimité à se présenter en tant qu’Etat.

    Cette recherche de légitimité n’est que l’un des volets d’une stratégie de communication soigneusement pensée et exécutée. Une stratégie qu’il convient de comprendre pour parvenir à défaire cette organisation terroriste.

    Une communication de la terreur, parfaitement maîtrisée

    Pour l’Etat Islamique, la bataille des idées et des images est aussi importante que la guerre sur le terrain. L’organisation suit en cela la logique de Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda, qui considérait être engagé « dans une bataille médiatique, dans une course pour les cœurs et les esprits » de la communauté musulmane. Ainsi, les dirigeants d’al-Qaïda ont toujours appelé leurs affidés à rechercher le soutien des masses populaires, visant une prise progressive du pouvoir dans le monde musulman. Pourtant, dès ses origines, l’Etat Islamique a préféré mener une « communication institutionnelle de la terreur » ; misant sur sa capacité à imposer, par la force, ses règles aux populations sous son contrôle.

    Ainsi, la communication de l’Etat Islamique adopte volontairement le langage et la posture de la force, de la terreur la plus irrationnelle. Elle suit en cela les préceptes du Management de la sauvagerie, le sinistre ouvrage d’Abu Bakr Naji. Maîtrisant parfaitement les codes médiatiques, son objectif est d’infliger un maximum de dommages psychologiques, économiques et politiques à ses cibles. Paradoxalement, c’est cette surenchère permanente dans l’horreur qui donne aux vidéos et images de l’Etat Islamique leur visibilité médiatique et participe à son attractivité pour les djihadistes. On se souvient ainsi du sort réservé à Maaz al-Kassasbeh, un pilote de l’armée de l’air jordanienne, capturé vivant par les djihadistes et qui a été brulé vif dans une cage. Dans un autre registre, les destructions de monuments historiques telle que la citée antique de Palmyre visent, elles aussi, à provoquer l’émoi, particulièrement chez les opinions publiques occidentales.

    Le professionnalisme de la communication de l’Etat Islamique ne doit pas surprendre. La branche « médias » de l’organisation terroriste est largement composée d’adeptes des réseaux sociaux et d’étrangers qui ont travaillé au sein de chaînes d’information ou d’entreprises de technologie. Elle a prouvé son sens du feuilletonnage en diffusant, après chacun des récents attentats, de nouvelles vidéos de revendications ou de menaces.  Un pur « acte de communication caractérisé », comme l’avance la philosophe Laura-Maï Gaveriaux, où les terroristes mettent, sans cesse, au défi la coalition internationale de parvenir à les arrêter. 

    Il faut lire la récente enquête de Greg Miller et Souad Mekhennet du Washington Post qui décrit le fonctionnement surréel de « la plus puissante machine de propagande jamais mise en place par une organisation terroriste ». C’est ainsi que les décapitations et exécutions publiques de « prisonniers de guerre » – en fait des otages –  ou d’opposant sont scriptées jusqu’au moindre détail et font souvent l’objet de plusieurs prises. Dans le même sens, les opérations de l’Etat Islamique sur les réseaux sociaux font l’objet d’une attention méticuleuse. Ses messages sont diffusés de façon extrêmement centralisée et réactive puis repris par un réseau de sympathisants zélés, désireux de contribuer de cette façon au djihad. Selon certains analystes, ces sympathisants détiendraient plus de 50 000 comptes sur Twitter… Extrêmement flexibles, ils ont prouvé, à de nombreuses reprises, leur capacité à disséminer leurs contenus en plaçant leurs hashtags dans les trending topics du réseau social.

    Par ailleurs, on sait, malheureusement, les succès rencontrés par la propagande de l’Etat Islamique dans le recrutement de combattants occidentaux – souvent récemment convertis à l’islam – dans ses rangs. Cette « communication de recrutement » contribue à accroitre l’aura de l’organisation, fournit les troupes des récentes opérations terroristes et inspire même ce que certains appellent des « loups solitaires », capables d’agir avec un faible degré d’assistance et de coordination avec la direction de l’EI. Le parfait « cercle vicieux » en somme…

    Il faut d’ailleurs noter l’importance, aux côtés de la violence, de thèmes tels que le pardon, la victimisation, l’appartenance ou encore l’utopie dans la communication de l’Etat Islamique. Le chercheur Charlie Winter a ainsi noté que plus de la moitié des messages de l’EI sont axés autour de cette promesse d’une communauté sunnite idyllique. Ces messages ne rencontrent qu’une faible audience dans les médias internationaux. Toutefois, ils jouent un rôle-clé dans l’attrait de l’Etat Islamique auprès des sunnites et des djihadistes. Car l’attractivité de cette organisation tient autant à sa volonté d’imposer un califat – un symbole important dans le monde musulman – qu’à la protection qu’il prétend apporter aux sunnites irakiens. C’est ainsi que des images des victimes des attaques des pays coalisés contre l’Etat Islamique sont régulièrement intégrées à sa propagande.

    Enfin, l’un des éléments-clé du fonctionnement de l’EI est la totale imbrication de la  stratégie militaire et de la stratégie de communication. Par exemple, selon les services de renseignement américains et européens, le cerveau des opérations de l’Etat Islamique hors d’Iraq et de Syrie ne serait autre qu’Abu Muhammad al-Adnani, le porte-parole officiel de l’organisation. Plus largement, les responsables de la branche « média » de l’EI jouissent d’un statut d’émirs de rang égal à leurs homologues militaires et les professionnels des médias sont considérés comme plus importants, mieux payés et logés que les soldats…

    Combattre la propagande de l’Etat Islamique

    L’enjeu pour la coalition internationale engagée contre l’Etat Islamique va être de reprendre la main dans cette guerre de l’information. Et la tâche s’annonce particulièrement ardue. Sur le seul plan quantitatif, l’Etat Islamique diffuse près d’une quarantaine de communiqués, messages sur les réseaux sociaux, vidéos ou chansons chaque jour

    Plusieurs initiatives gouvernementales se sont faites jour pour lutter, sur le front intérieur, contre la propagande de l’EI. Se fondant son expérience dans la lutte contre les dérives sectaires, le gouvernement français a initié le dispositif « Stop-djihadisme » en avril 2014. Le parti-pris a été de communiquer à destination des familles et des proches des individus en voie de radicalisation afin d’inciter au signalement de ces derniers. Cette cellule semble être un succès sur le plan opérationnel. Plus de 3 645 individus lui ont été signalé en vingt mois d’existence avec, à la clé, un accompagnement personnalisé dans leur déradicalisation. Dans le même sens, des vidéos ont été diffusées par les autorités afin de rappeler aux candidats au djihad les réalités et la violence de la guerre en Syrie.  

    Par ailleurs, l’exécutif s’est efforcé, d’abord en Janvier et plus encore après les récents attentats, de protéger la population du traumatisme de ces attaques. C’est ainsi que le gouvernement, la Justice et les policiers d’élite du RAID et de la BRI ont communiqué en masse afin d’occuper l’espace médiatique. Cette information de tous les instants sur les progrès de l’enquête – couplée à de vigoureux rappels à l’ordre des médias par le CSA – est parvenue à limiter les supputations, hypothèses et théories du complot autour de ces attentats.

    Une nouvelle page dans le renforcement de la cohésion nationale est, par ailleurs, en train d’être écrite autour des valeurs fondamentales et de symboles républicains tels que le drapeau ou La Marseillaise, célébrés de part le monde et que se réapproprient les Français. Les élections régionales des 6 et 13 décembre prochains constitueront un test-clé du succès de cette stratégie.

    En termes de contre-propagande, plusieurs gouvernements étrangers ont initié des programmes visant à s’attaquer à la communication de l’Etat Islamique. Ainsi, le Royaume-Uni et l’Australie ont lancé, avec un succès mitigé, des comptes Twitter – respectivement « UK against ISIL » et « Fighting DAESH » – destinés à combattre la désinformation de l’Etat Islamique. De façon plus intéressante, l’Etat major français des Armées a recruté près de 15 000 followers depuis le lancement, le 23 novembre dernier, de son compte Twitter qui relate les opérations militaires françaises contre l’EI. Les pressions exercées contre les entreprises technologiques, notamment Facebook, YouTube et Twitter, afin que celles-ci suppriment les profils de l’Etat Islamique et de ses soutiens apparaissent plus efficaces. De nombreux comptes très suivis disparaissent régulièrement ; obligeant leurs auteurs à consacrer un temps significatif à se reconstituer une nouvelle audience.

    Mais s’attaquer au média plutôt qu’au message ne saurait constituer une stratégie de long terme. C’est une réponse technique qui met à mal notre attachement à la liberté d’expression et à laquelle les djihadistes s’adaptent, de toute façon, sans cesse.

    L’Etat Islamique a durablement changé ce que sera la communication des djihadistes pour les années à venir. Même si le « califat » venait demain à être vaincu militairement, ses méthodes et nombre de ses opérateurs lui survivront. Aussi, c’est sur le terrain des idées qu’il convient de défaire cette organisation. En créant des solutions politiques à la situation des sunnites irakiens, en établissant des méthodes de lutte contre les extrémistes conformes à nos valeurs démocratiques. Surtout, il reste à construire un  « contre-récit » qui vienne s’opposer frontalement à sa propagande, discréditer les affirmations de ses leaders et démonter, pièce après pièce, ses arguments théologiques.

    Par ses actions et sa propagande, l’Etat Islamique cherche à bouleverser durablement, tant les sociétés occidentales que musulmanes. Notre réponse à ce défi ne saurait se limiter à faire de ses communicants les cibles de nos frappes aériennes…