08Jan2021
« Le besoin d’un discours confiant, transparent, construit, d’une force de sécurité est plus important qu’avant »
Interview du Général Laurent Bitouzet, Chef du SIRPA-Gendarmerie et Conseiller pour la Communication du Directeur général de la Gendarmerie nationale. La Gendarmerie nationale dispose de son propre service Communication, le SIRPA- Gendarmerie, qui n’a rien à envier aux directions communication des grandes entreprises françaises. Il a su s’adapter aux besoins croissants de pédagogie et de lien de confiance entre les forces de l’ordre, en particulier les 100 000 gendarmes et 30 000 réservistes, et la population.
Vous êtes à la tête du « SIRPA-Gendarmerie » : pouvez-vous expliciter pour les non-initiés ?
SIRPA signifie Service d’Information et de Relations Publiques des Armées, c’est le nom traditionnel issu du ministère des Armées, conservé en 2009 au ministère de l’Intérieur.
En d’autres termes, c’est la Direction de la communication de la Gendarmerie nationale : le service qui a la charge de l’ensemble des missions de communication interne et externe pour l’institution. Au quotidien, s’occuper de la communication de la Gendarmerie c’est expliquer ce qu’elle fait, valoriser les réussites de ses opérations, mais surtout faire connaître l’institution pour expliquer aux citoyens comment sont organisées les forces de sécurité qui les protègent.
Est-ce que ce besoin de communiquer sur l’action de la Gendarmerie s’est imposé de manière beaucoup plus forte ces dernières années ?
J’ai toujours considéré, partout où j’ai été engagé, que mener une action de sécurité devait se prolonger par une action de communication.
Il y a toujours eu besoin d’expliquer, mais aujourd’hui le besoin d’un dis- cours transparent et construit d’une force de sécurité, est indispensable pour faire face aux effets de « multiples informations », liés au numérique et aux réseaux sociaux.
C’est un devoir pour la Gendarmerie, sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, d’expliquer en transparence ce que l’on fait.
Plus nous explicitons ce que nous faisons, ce que nous sommes, plus nous créons le lien de confiance nécessaire avec la population et combattons les effets négatifs de l’aveuglement numérique.
Comment est structuré ce service Communication ?
Nous fonctionnons comme une agence de communication et regroupons tous les métiers. Nous utilisons de nombreux vecteurs de communication : de la création de fictions littéraires, cinématographiques ou de séries TV, en proposant des parcours d’inspiration aux scénaristes et réalisateurs, en passant par des salons de recrutement, des campagnes en ligne, ou encore de l’événementiel tel que notre participation annuelle à la caravane du Tour de France.
Nous développons une communication digitale : sites inter- net, réseaux sociaux, magazine web Gendinfo désormais accessible à tous en ligne, source d’information pour ceux qui s’intéressent à la Gendarmerie. Nous produisons des infographies, vidéos, photos… Nous avons également un important volet de communication interne : via un Intranet spécifique accessible en tout temps sur l’un des 65000 smartphones ou tablettes à disposition du gendarme pour son service quotidien.
Enfin, nous gérons toutes les relations presse. Les multiples sollicitations des journalistes occupent cinq personnes à temps plein, que ce soit pour de la pédagogie, des demandes de reportages (environ 30 par semaine), des immersions, etc. Depuis une dizaine d’années, nous avons fait le choix d’ouvrir les rangs du SIRPA à des profils non-gendarmes, c’est le cas pour la moitié de l’équipe. Cette mixité a fait ses preuves !
La Gendarmerie est très présente sur les réseaux sociaux : est-ce qu’ils ont changé le rapport population / forces de sécurité ?
Nous sommes en effet très suivis sur les réseaux sociaux, qui nous permettent de toucher tous nos publics. La page Facebook de la Gendarmerie est la première parmi les administrations françaises.
Les réseaux sociaux nous permettent d’être notre propre vecteur d’images. À moindre coût, ils nous offrent la possibilité d’une communication rapide et massive. Leur utilisation a pour but de maintenir le lien de proximité et de contact au plus près de chaque public. À chaque vecteur s’adapte un message, une ligne éditoriale pour « capter » sa cible. C’est une continuité de l’action de protection et bienveillance dans le nouvel espace numérique !
Vous êtes également confrontés au phénomène grandissant des fake news ?
Clairement, vu les contenus qui défilent sur nos sujets, nous pourrions passer nos journées à faire du fact checking ! Le numérique favorise la circulation d’informations sensationnelles et crée une viralité émotionnelle, souvent négative. On parle même aujourd’hui « d’infodémie » !
Puisqu’elle engage la parole de l’État, notre communication se doit d’être toujours construite et réfléchie. Il y a de fait une forme d’asymétrie dans nos prises de parole sur ces nouveaux vecteurs puisque nous serons toujours moins nombreux à publier, et nous serons toujours dans le rationnel et le pédagogique, et non dans l’émotionnel et le sensationnel.
Nous répondons aux fake news qui prennent de « l’ampleur », par ailleurs difficile à déterminer : qu’est-ce qu’un « buzz » ? Sur quel vecteur ? Auprès de quel public ? Peut-on répondre à toutes les expressions individuelles ou celles de certains groupes : ils produisent trop souvent des idées qui ne sont véhiculées et lues que par eux-mêmes.
Dans certains cas le démenti est clairement nécessaire : lors des manifestations « Gilets jaunes » de décembre 2018, une rumeur circulait disant que les véhicules blindés de la Gendarmerie étaient dotés de gaz incapacitant. Nous avons alors fait le choix de réagir via nos deux comptes Twitter : celui de la porte-parole qui a délivré nos messages argumentés, et celui de l’institution sur lequel nous avions publié de manière plus décalée un GIF expliquant que nous n’avions pas plus de gaz incapacitant que de sabre laser !
Vos publications sur les réseaux sociaux sont en effet connues pour leur côté décalé : utilisez-vous l’humour comme levier de communication ?
En effet, c’est notre choix de ligne éditoriale de créer une proximité. Nous souhaitons prolonger sur les réseaux sociaux cette relation de confiance que nous vivons sur le terrain, en montrant que nous pouvons prendre très au sérieux notre mission sans pour autant se prendre toujours au sérieux. Le ton décalé – jamais dans la moquerie – est un moyen de faire passer des messages.
Quels sont désormais vos principaux enjeux de communication pour 2020 ?
Ces dernières semaines avec la crise sanitaire, la Gendarmerie (ainsi que l’ensemble des forces de secours et de sécurité) a une nouvelle fois été fortement sollicitée. Notre enjeu est, de façon encore plus marquée en 2020, d’entretenir la confiance au plus près des territoires. Le confinement nous a ramenés à la proximité et à la responsabilité locales : caractéristiques d’action de la gendarmerie ! Pendant cette crise, les unités sont allées au-delà de leur mission de protection en s’engageant auprès des plus vulnérables (victimes de violences, enfants, seniors) et plus exposés (TPE, PME, soignants, élus). Nous avons « nommé » ces actions, dans les médias et nos réseaux sociaux : #RépondrePrésent. Bien plus qu’une marque de communication née de la crise, c’est un état d ’esprit : un gendarme qui innove, s’adapte et reste connecté au plus près de la population pour entretenir la confiance.
Propos recueillis par Sophie Dulibeau, directrice conseil chez Vae Solis Communications