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    22Jan2018
    La Marine… en immersion, par Corinne Dubos

    blog_VSC

    Quelques éléments de RETEX issus d’un stage de mise sous pression réalisé dans la Marine nationale

    L’Art de la guerre a certainement traîné sur le bureau de tous les managers que nous sommes. Et les parallèles entre monde militaire et business sont, il est vrai, anciens et nombreux : cohésion, engagement, autorité, responsabilité, stratégie… la grande muette est une source d’inspiration inépuisable. Pour avoir eu la chance d’être confrontée à cet univers, autrement que dans les livres, en partageant le bord d’un bâtiment de la Marine nationale, je confirme que l’expérience est d’une richesse inouïe.

    Photo : Corinne Dubos

    Opération « vis ma vie d’élève-officier » embarquée sur le Mistral [1] en mer de Chine pour huit jours en immersion, l’objectif que je partage ici avec mes camarades de promotion du programme Dirigeants de l’EDHEC [2] : se confronter au management sous pression. Au branle-bas, sauter dans sa combinaison bleu marine, arpenter les 200 mètres de long de son pont, s’épuiser dans ses échappées et les 11 ponts qu’elles desservent, vivre sur le Mistral n’est évidemment pas de tout repos ! Au-delà de l’expérience physique, on peut tenter quelques rapprochements et transferts vers nos « business civils ».

    Parallèles et méridiens pour le management

    La vision, la culture et les valeurs, trois éléments socles de l’engagement des équipes et de tenue de toute organisation, c’est un parallèle évident et directement inspirant entre les deux mondes, militaire et business. Dans ce domaine, on est frappé par une très forte culture d’humilité qui s’observe jusqu’au plus haut niveau de responsabilités, qui n’apparaît pas aussi largement partagée dans nos organisations privées. « Là-bas » et à l’instar de la culture business américaine, l’échec est systématiquement valorisé au titre de l’expérience et des enseignements à le surmonter. Une humanité et une humilité qu’on peut aisément mesurer comme proportionnelles aux enjeux des missions mêmes de l’organisation. Sur les méthodes, la conduite d’exercices et simulations d’opérations qui sont ici quotidiens, inspire directement le privé. Sans atteindre évidemment l’intensité et la régularité de celles des armées, la maîtrise de procédures de gestion de crise ou d’événements sensibles est un gage d’efficacité et l’on mesure ici toute l’utilité de s’exercer sans relâche pour être toujours « prêt » à réagir au pire.

    En revanche, la distance se creuse sur la gestion des équipes et le management qui apparaissent en effet comme des points de divergence assez notables, d’autant plus ces dernières années, où l’agilité, la libéralisation de nos organisations sont en vogue, aux antipodes du modèle militaire ! À l’heure où l’on souhaite gommer de plus en plus les carcans hiérarchiques, se pose la question de la nécessaire subsistance d’un cadre solide protecteur, inclusif et équitable, condition de gestion des déséquilibres de fond et autres imprévus ponctuels.

    Quelques leçons ramenées du large

    Restent de cette expérience d’une richesse indicible, des enseignements multiples : en voici trois, susceptibles d’être utiles à la vie de nos organisations.

    L’impérieuse nécessité de se déconnecter

    Vivre sans portable sept jours durant, c’est possible ! Contre toute attente, on se retrouve assez vite dans une configuration d’un grand confort, libéré, concentré, et réellement disponible aux gens et aux événements du moment. C’est d’ailleurs assez saisissant de ne voir personne rivé sur son portable pendant des jours entiers. Quelle étrangeté ! Et pourtant tout semble si fluide et la communication nullement handicapée, bien au contraire. Le droit à la déconnexion pour les salariés c’est aussi un devoir que nos organisations devraient savoir mieux s’approprier.

    -> Savoir « débrancher » pour retrouver de l’efficacité

    Les codes et les règles sont les conditions de l’agilité

    Les règles et l’organisation militaires au millimètre ne sont faites que pour être à l’aise sur la brèche. Être prêtes à agir, réagir, en permanence c’est l’obsession absolue de nos troupes armées. La planification, la ritualisation libèrent l’esprit pour le rendre disponible et ultra-réactif, le cas échéant aux événements les plus déstabilisants. Les cadres, les procédures, la structure, la culture doivent être forts, c’est le gage de la cohésion et de l’engagement des équipes, c’est aussi la condition de l’agilité, de la créativité et de l’efficacité de toute organisation.

    -> Il n’y a pas d’agilité durable et constructive sans cadre solide

    Cultiver l’art du « qui-vive »

    L’art du « qui-vive » c’est au-delà d’avoir un cadre fort et structurant, être toujours en condition physique et mentale pour pouvoir en sortir en restant solide, structuré et soutenu, y compris dans le chaos. Et puisque précisément l’imprévu est toujours possible, il s’agit de cadrer tout ce qui peut l’être pour n’avoir à gérer que l’imprévisible. C’est là que les codes, les procédures auxquelles chacun se conforme, les routines du mode « petits soldats » apportent à un quotidien où la tension est latente, une forme d’assurance, de repères très utiles pour mieux appréhender le tumulte « potentiel ».

    -> Ritualisez, répétez pour être les mieux armés




    Corinne Dubos, associée Vae Solis Corporate
    Texte intialement paru dans l’édition 2018 de 365°, le news tank de Vae Solis Corporate


    [1] Le Mistral (L9013) est un bâtiment de projection et de commandement de la Marine nationale ; Ce porte-aéronefs est commandé par le capitaine de vaisseau Stanislas de Chargères.
    [2] L’ Advanced Management Program de l’ EDHEC accueille chaque année une vingtaine de participants, dirigeants d’ entreprises et officiers supérieurs des armées.