28Déc2015
La fin du « Das Auto » : retour sur une crise majeure de l’année 2015 par Ludovica Giobbe
Alors que la crise traversée par Volkswagen passe de sa phase aigüe à une phase plus chronique, la communication mal calibrée de l’entreprise, depuis le mois de septembre 2015, n’a pas permis de lever les doutes quant à sa capacité à prendre la mesure des enjeux de cette crise et à y répondre. Ces interrogations – y compris d’ordre financier – font pressentir que le chemin vers la restauration du lien de confiance entre Volkswagen, ses clients et l’opinion sera long et incertain.
Si les crises dans l’automobile n’ont pas manqué ces dernières années, celle-ci n’est en rien comparable avec les accusations portées contre General Motors en 2013 ou avec la condamnation de Toyota en 2011 aux Etats-Unis concernant les pédales d’accélérateur défectueuses de certains véhicules.
Le scandale du #DieselGate est bel et bien unique en son genre et dans son ampleur :
- Il touche 5 des 11 marques distribuées par le Groupe Volkswagen (Volkswagen, Seat, Audi, Skoda et Porsche), soit près de 11 millions de véhicules sur la période 2009-2015, sur la base des informations dont nous disposons en cette fin d’année ;
- Il n’est pas circonscrit à une zone géographique donnée : plus de 10 pays ont d’ores et déjà annoncé le lancement d’enquêtes ou ont pris des mesures pour limiter la commercialisation des véhicules concernés : Etats-Unis, Canada, France, Allemagne, Italie, Norvège, Espagne, Suisse, Belgique, Corée ;
- Le procédé employé pour réduire les émissions polluantes de NOx (oxyde d’azote) et de CO2 lors des tests d’homologation des véhicules concernés constitue une véritable fraude délibérée de la part de Volkswagen. En effet, le système mis en place par le Groupe consistait concrètement à déconnecter sur ses véhicules le dispositif de dépollution de NOx quand son logiciel fraudeur repérait des conditions de circulation normales sur route, et à l’activer uniquement lors des tests sur banc à rouleaux. Les véhicules ainsi équipés n’étaient donc pas en mesure de respecter la moindre norme de limitation d’émissions de NOx ou de CO2, légère ou stricte, polluant sans la moindre entrave dès lors qu’ils n’étaient pas en situation de test.
Dès le début de la crise, en septembre dernier, Volkswagen s’est employé à appliquer à la lettre la formule magique du repentir : des aveux, un responsable désigné, des mesures précises pour maîtriser le fait générateur, un soin particulier apporté aux « victimes ».
A y regarder de plus près, la réponse immédiate de l’entreprise à cette crise sans précédent n’est, pour autant et pour l’instant, pas à la hauteur des enjeux :
- L’aveu de Michael Horn, PDG de Volkswagen aux Etats-Unis, ce « We totally screwed up » [« Nous avons fait n’importe quoi »] maladroit, a fait en quelques heures le tour du monde et des réseaux sociaux.
- Le report de la faute sur un individu désigné comme responsable, en l’espèce Martin Winterkorn – qui a payé ce scandale de son poste de PDG du Groupe – est inopérant, en ce qu’il n’allège en rien la responsabilité de l’entreprise aux yeux des médias, des marchés, et de l’opinion. Alors que la responsabilité de Martin Winterkorn est recherchée par le parquet de Brunswick dans une enquête judiciaire ouverte à son encontre, son successeur à la tête de Volkswagen, Matthias Müller, a annoncé que Martin Winterkorn n’est pas visé par l’enquête interne – comme d’ailleurs aucun des membres du directoire du Groupe. Des médias allemands ont par ailleurs révélé que l’ancien PDG continuerait de toucher son salaire jusqu’à la fin de l’année 2016.
- La mise en place de mesures pour limiter la crise est inopérant, le Groupe étant dans l’incapacité de donner des informations précises sur le nombre de véhicules concernés. En effet, de l’aveu même d’un haut responsable de l’entreprise, « Personne ne sait aujourd’hui si tout est sur la table » (Le Monde, 10 novembre 2015).
- La prise en charge des « victimes » – ici, les clients du Groupe – pivot de toute communication de crise, n’est pas non plus en phase avec les attentes de ces dernières. Il semble en effet difficile de croire que les consommateurs lésés par Volkswagen pourront se satisfaire de l’indemnisation, proposée aux clients américains (et uniquement à ces derniers), alors même que certaines associations de consommateurs estiment la moins-value des véhicules concernés sur le marché de l’occasion entre -16 et -30%.
La fin de l’année 2015 a été émaillée de nouvelles crises dans la crise, qui sont autant d’obstacles à la nécessaire reconstruction par Volkswagen de son image et de sa réputation : nouvelles révélations, lancement d’enquêtes, nouveaux véhicules concernés, etc. Le temps est dans ce dossier, comme dans toute crise, une donnée incontournable : lui seul permettra de connaître l’étendue des dégâts et de mesurer le coût de ce scandale pour Volkswagen. Car à la mise en cause morale du Groupe succède une mise en cause de sa propre viabilité financière. Les chiffres sont en effet cruels, et leur volatilité témoigne de la fébrilité des investisseurs. La valorisation du Groupe a par exemple chuté de 45% (soit 75 milliards de dollars !) entre le 17 septembre, à la veille de la révélation du scandale par l’agence américaine de protection de l’environnement, et le 2 octobre 2015. Si la valorisation a retrouvé quelques couleurs et s’établit aujourd’hui à près de 135 milliards de dollars, le temps sera long avant que la pleine confiance des marchés ne soit restaurée.
Les doutes sur la capacité de Volkswagen à absorber l’onde de choc ont par ailleurs été officiellement relayés par les trois agences de notation Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s, qui ont abaissé ces dernières semaines la note de l’entreprise, évoquant « la possibilité de problèmes supplémentaires qui n’ont pas encore été détectés ».
Le meilleur indicateur du coût de ce scandale est probablement le prêt de 20 milliards d’euros contracté par le Groupe auprès de 13 banques au début du mois de décembre. Nous sommes déjà loin des 7 milliards provisionnés en octobre, mais surtout des 20 à 80 milliards que pourrait réellement devoir supporter Volkswagen selon certains analystes. Malgré les déclarations de la direction du Groupe, selon laquelle « Volkswagen ne s’effondrera pas », la remontée de la pente s’annonce difficile pour l’entreprise, qui prévoit de mettre en œuvre des économies à grande échelle pour faire face à cette crise sans précédent.
Pour autant, le #DieselGate affecte-t-il la perception du Groupe par l’opinion ?
Il semblerait que ce soit le cas, si l’on en croit le recul des ventes enregistré par Volkswagen au mois de novembre (-2,2%), en attendant de voir se confirmer les prévisions pour l’ensemble de l’année 2015, pour l’instant assez pessimistes (-1,7% entre janvier et novembre 2015 selon Matthias Müller, l’actuel PDG du Groupe). Par ailleurs, d’après un sondage réalisé en Allemagne par Automobilwoche (presse économique automobile), 71,4 % des Allemands ont une perception négative de Volkswagen au début du mois de décembre 2015 (contre 3,9 % en septembre 2015). Cette perception semble cependant n’affecter que les véhicules de marque Volkswagen : le même sondage révèle que l’image d’Audi, dont les véhicules étaient également porteurs du logiciel mis en cause, reste stable avec seulement 2,1 % d’opinions défavorables (2,4% en septembre 2015).
Dans ce contexte difficile, quatre pistes pourraient notamment contribuer à faciliter la communication de Volkswagen :
- Une plus grande transparence à destination des médias, à qui il peut être avantageux d’accorder des informations précises sur l’étendue de la crise, sans tenter d’atténuer leur traitement de cette dernière par des contrefeux plus « corporate » qui seraient dès lors perçus comme artificiels.
- La mise en place de méthodes particulières d’endossement des différentes prises de parole de ses salariés. L’information ne sera pas perçue de la même façon si des salariés prennent continuellement, spontanément et individuellement la parole – au risque de générer un bruit de fond négatif et permanent – ou si l’entreprise décide de reprendre à son compte et selon des règles qu’elle aura fixées ces mêmes propos, maîtrisant sinon l’information elle-même, du moins le flux d’information émanant de ses parties prenantes internes.
- La communication par la preuve, qui pourrait s’appuyer sur les démarches concrètes mises en œuvre par l’entreprise. Robert Bell, professeur de management au Brooklyn College de l’université de New York, a par exemple suggéré le soutien financier par Volkswagen à un «fonds de rédemption vert » pour le déploiement de la voiture électrique et de ses infrastructures, vu ici comme le pendant vertueux du diesel controversé.
- Une attention particulière aux répliques de la crise qui surviendront au cours des prochaines années : procédures judiciaires, éventuelles nouvelles révélations, date anniversaire, etc. Il s’agirait, par exemple, de décorréler communication judiciaire et corporate, tout en anticipant les séquences inévitables de la communication judiciaire par des campagnes de communication corporate. Volkswagen, prenant ainsi la main sur le terrain de la communication, serait donc mieux en mesure de faire passer ses différents messages dans les médias et à l’opinion.
Aux différentes initiatives du Groupe pourrait s’ajouter un effort de pédagogie, notamment en ce qui concerne le traitement réservé à cette affaire aux Etats-Unis. Si la faute du Groupe est incontestable, il est néanmoins nécessaire de porter un regard critique sur l’attitude de l’administration Obama, bien décidée à punir Volkswagen pour l’exemple. En cette fin de mandat, elle semble déterminée à faire de la lutte contre le réchauffement climatique le fleuron de son bilan, si possible en continuant de porter des coups à l’industrie européenne. En ce sens, l’amende encourue par Volkswagen aux Etats-Unis – 18 milliards de dollars, soit 37 500 dollars par véhicule concerné – est un symbole qui rappelle les autres épisodes de la guerre commerciale que se livrent les deux continents, tous secteurs confondus (on se souviendra, par exemple, de l’amende record de 8,97 milliards de dollars infligée à BNP Paribas en juin 2014).
En cette fin d’année noire, une question conditionne plus particulièrement l’avenir du Groupe : Volkswagen parviendra-t-il à restaurer la confiance des marchés, de ses clients et de l’opinion ? Une première inflexion dans l’attitude de l’entreprise a été le changement de sa signature, par l’abandon de son traditionnel « Das Auto ». Ce changement n’est pas anecdotique : il est le signe que Volkswagen entend bien aborder 2016 avec une nouvelle stratégie. Il lui appartient désormais de refaire de son produit non pas une voiture, mais LA voiture, dans l’esprit de tous.