20Mai2020
Il faudra (aussi) déconfiner les bilans des entreprises, une tribune d’Arnaud Dupui-Castérès et Alexis de Maigret pour Les Echos Exécutives.
Faiblesse structurelle du tissu économique français, la sous-capitalisation des entreprises est un facteur de vulnérabilité supplémentaire en période de crise. S’ils permettent d’éviter des faillites à court terme, les prêts garantis par l’Etat (PGE) ne font que repousser le problème.
Comme à chaque crise, le mythe du « capitalisme sans capital » s’effondre, et l’on redécouvre la vertu des paquebots solidement capitalisés, plus à même de traverser la tempête que les hors-bord aux bilans suroptimisés qui ont la faveur des investisseurs par temps calme. Le problème se pose avec d’autant plus d’acuité en France, où les entreprises sont très endettées par rapport à leurs homologues d’outre-Rhin ou transalpins. Les derniers chiffres publiés par la Banque de France, au troisième trimestre 2019, montrent ainsi que le taux d’endettement des sociétés non financières s’élève à 74,3 % du PIB en France, contre 64,5 % en Italie et seulement 41,3 % en Allemagne.
Pour éviter une pandémie de faillites , l’Etat a mis en oeuvre un plan de sauvetage ambitieux dont les prêts garantis (PGE) sont le fer de lance, pour un montant notionnel pouvant aller jusqu’à 300 milliards d’euros. Selon le tableau de bord publié par la Banque de France, près de 344.000 entreprises en ont déjà bénéficié au 30 avril pour un montant cumulé de 55 milliards d’euros, garantis, selon les cas, à hauteur de 70 % ou de 90 % par l’Etat.
Mesure d’urgence par excellence , les PGE n’apportent néanmoins pas une réponse pérenne à la question du financement des entreprises, en raison de leur coût pour les finances publiques et de la problématique de refinancement qui s’ensuivra. Du point de vue des finances publiques, la garantie n’entraîne certes pas de décaissement immédiat, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas un coût potentiellement élevé pour les finances publiques.
Déséquilibre durable
Pour les entrepreneurs, après le déconfinement, une fois les équipes au travail et l’activité relancée, avec une relative tranquillité d’esprit grâce au PGE, se posera inévitablement la question du refinancement de ces prêts, qui ne sont pas du tout de même nature que des emprunts « ordinaires » . En effet, ils ne visent pas à financer un investissement qui générera – normalement – des flux de trésorerie, mais à couvrir des besoins de liquidité à court terme liés au manque à gagner entraîné par la mise à l’arrêt de l’économie.
L’Etat a bien prévu une sortie en sifflet du dispositif, puisque les bénéficiaires pourront, à l’issue de la première année, décider d’amortir le prêt sur une période allant jusqu’à cinq années supplémentaires. Il n’en demeure pas moins que, même dans l’hypothèse – optimiste – d’un retour rapide à la normale avec une reprise en V , les bilans des entreprises françaises risquent d’être durablement déséquilibrés si l’on n’entrevoit pas à moyen terme une recapitalisation d’envergure du tissu économique français. Celle-ci sera subie, si les banques créancières ou l’Etat-garant sont amenés à convertir leurs créances en capital, ou choisie, si les entreprises concernées s’engagent sans attendre dans une démarche de levée de fonds.
Anticiper
Il s’agira, pour les plus grandes entreprises, de faire appel à l’épargne publique, si les conditions de marché le permettent, en proposant une equity story convaincante permettant aux investisseurs de faire le tri entre les « entreprises zombies » plus liquides que solvables, qui ne survivent que par la grâce d’une politique monétaire ultra-accommodante, et celles qui ont des perspectives crédibles de croissance rentable.
Reste le cas des entreprises non cotées pour lesquelles lever des fonds constituera une nouveauté et qui devront, elles aussi, formaliser une equity story et s’appuyer sur leur capital réputation pour attirer des investisseurs. Anticiper cette échéance le plus tôt possible sera, à l’évidence, un facteur-clé pour ne pas se retrouver dans un « goulot d’étranglement » au moment du débouclage des PGE, et ce d’autant plus que les entreprises qui tarderont le plus à sortir du dispositif des PGE seront, fort logiquement, soupçonnées d’être les plus fragiles .
Arnaud Dupui-Castérès et Alexis de Maigret sont respectivement directeur général et associé en charge de la communication financière chez Vae Solis Communications.