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    26Juin2020
    Engagement actionnarial et gouvernance d’entreprise : « Je t’aime, moi non plus »

    blog_VSC

    Utiles pour certains, déstabilisants pour d’autres, les fonds activistes clivent au sein de la sphère financière et, plus globalement, cristallisent les débats des différentes places. La France n’échappe pas à ce phénomène, et les eaux traditionnellement calmes de la gouvernance d’entreprise s’en trouvent quelque peu bouleversées, ouvrant parfois la voie à des situations conflictuelles entre émetteurs et investisseurs. Il convient donc, pour les émetteurs, d’anticiper la « menace » et de faire évoluer leurs pratiques sans attendre qu’elle se concrétise.

    En 2019, près de 4 400 retombées presse ayant trait à l’activisme sont venues nourrir les fils d’actualités des différents médias hexagonaux, soit 21% de plus que l’année précédente, (dé)montrant ainsi l’intérêt croissant de l’opinion publique pour ces « casse-cou » de la finance. Dans bon nombre de ces papiers, le traitement des activistes est souvent le fruit d’un raisonnement manichéen. Pour beaucoup, il consiste à dire que ces fonds « vautours » ciblent les entreprises en difficulté et accélèrent leurs processus de démembrement afin de maximiser la rentabilité à court terme, au détriment de l’intérêt social de l’entreprise. De nombreuses études académiques démontrent pourtant que l’activisme a le plus souvent des effets vertueux sur le long-terme, qu’ils soient mesurés en Total Shareholder Return (TSR) ou en performance opérationnelle. En outre, contrairement aux idées reçues, une campagne activiste a plutôt tendance à stimuler l’investissement et les dépenses de R&D.

    Des critiques binaires et passionnées

    Mais, au-delà de son impact sur le cours de bourse, l’utilité de l’activisme doit avant tout être appréhendée au regard de son apport à la qualité de la gouvernance. Une mauvaise stratégie est bien plus souvent imputable à un système d’incitation des dirigeants mal calibré et/ou mal appliqué qu’à un manque de vision de leur part. Aussi, plus que l’incompétence des dirigeants, l’investisseur activiste traque le désalignement de leurs intérêts avec ceux des actionnaires dans le cadre d’une relation d’agence classique, qui peut conduire les managers-agents à faire – en connaissance de cause – des choix qui ne sont pas dans l’intérêt des actionnaires, par exemple en favorisant la croissance au détriment de la rentabilité. L’activisme peut donc être un garde-fou utile, bien plus efficace que la réglementation pour lutter contre le crony capitalism et la décorrélation des rémunérations des dirigeants de leurs performances.

    Une pratique d’investissement en plein essor

    En plus de l’appétit des investisseurs pour les stratégies alternatives en période de taux bas, le développement de la thématique activiste doit paradoxalement beaucoup au succès de… la gestion passive. Car elle renforce l’intérêt à agir d’un actionnaire, fût-il très minoritaire, en augmentant son poids relatif dans le capital « actif » (et ce d’autant plus qu’il peut faire levier sur l’obligation – pour la plupart des fonds indiciels – de suivre les recommandations de vote des proxy advisors). Avec 159 campagnes dans le monde, le cru 2019 vient consolider plus encore cette industrie, dont la collecte atteint près de 300 milliards de dollars sous gestion. Longtemps en retard sur les États-Unis, l’Europe apparaît désormais comme un eldorado pour les investisseurs activistes : Lazard y a recensé l’an passé une vingtaine de nouvelles campagnes, majoritairement des opérations touchant des mid caps sous-performantes ou des large caps en bonne santé, mais priées d’accélérer leur plan de transformation. Dans l’Hexagone, la donne est légèrement différente. Les mid caps « sweet spot » sont ciblées dans 50% des cas. Encore loin du Royaume-Uni (33%), la France représente aujourd’hui 19% du total des campagnes, contre 11% en 2018.

    Une place parisienne traditionnellement peu accueillante pour les activistes

    De nombreux freins entravent le développement de l’activisme en France. Réglementaires d’abord : Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens et auteur d’un rapport remarquable sur le sujet, soulignait il y a peu dans une interview accordée au site de Vae Solis Communications que l’existence de droits de vote doubles (de facto quasi obligatoire depuis la loi Florange) est particulièrement dissuasive. 85% des sociétés françaises dérogent ainsi au principe « 1 action, 1 voix » (contre 30% au Royaume-Uni). Politiques, ensuite, avec une tradition d’interventionnisme étatique visant à « protéger » les champions tricolores, à l’instar du décret Montebourg ou du nouveau « lac d’argent » mise en place par Bpifrance. Culturelles, enfin, avec une culture des affaires peu propice à l’expression critique, une certaine endogamie des conseils d’administration, et la prévalence du modèle de Président-directeur général, même si la gouvernance d’entreprise s’est sensiblement améliorée en France depuis le début des années 2000 (fin des participations croisées, Code AFEP-MEDEF, dissociation croissante des fonctions de Président et de Directeur général, mixité et internationalisation des conseils…).

    Que faire en cas de campagne activiste ?

    L’arrivée d’un investisseur activiste au capital d’une entreprise est souvent présentée comme une « intrusion » hostile. C’est oublier que la majorité des investissements de fonds activistes ne font pas l’objet de campagnes publiques, les gérants privilégiant presque toujours le dialogue direct avec le management et le conseil d’administration. Une véritable campagne « publique » n’intervient, dès lors, que lorsque les discussions « privées » n’ont pas permis de dégager d’accord entre les parties. La communication devient alors, pour l’investisseur, « la poursuite de la politique par d’autres moyens », en exposant publiquement son « investment case » sur des supports de plus en plus sophistiqués (présentations, courriers, rapports, relayés par des sites internet ad hoc et les réseaux  sociaux…).

    Du point de vue de l’émetteur, la tentation de recourir à une réponse conflictuelle – par exemple par des actions judiciaires ou par voie de presse – peut permettre de gagner du temps et de donner « du grain à moudre » en vue d’une négociation future, mais elle ne doit en aucun cas le dispenser d’une réponse argumentée, en allant plus loin que les habituels clichés sur les fonds mus par l’appât du gain à court terme. Il apparaît bien plus constructif de penser l’investisseur activiste comme un sparring partner que comme un adversaire, et il est indispensable dans ses prises de parole de toujours garder à l’esprit le subtil équilibre entre les attentes des actionnaires, qui peuvent être alignées sur celles des activistes, et les attentes des autres parties prenantes. En ce sens, la « bonne » réponse consiste à trouver un chemin de crête entre le rejet en bloc et la capitulation en rase, sur la base d’un examen minutieux des propositions de l’investisseur. Pour accompagner cette démarche, une communication transparente, mesurée et argumentée est un enjeu absolument car elle sera le levier indispensable pour renforcer la crédibilité du discours et susciter l’adhésion.

    Cet article rédigé par Charlotte Bourgeois-Cleary, directrice conseil, Alexis de Maigret, associé et Florian Ridard, consultant chez Vae Solis Communications est à retrouver dans l’édition 2020 de 365°, le news tank de Vae Solis Communications.

    Pour aller plus loin, retrouvez l’interview de Bruce Goldfarb, Fondateur et CEO de Okapi Parners, par Florian Ridard, consultant Vae Solis Communications ici.