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    24Juin2019
    Communication & Afrique : l’heure de la « nouvelle frontière » ?

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    Dans un ordre mondial de plus en plus marqué par l’incertitude et le manque de visibilité économique et politique, 2018 semble confirmer la montée en puissance de l’Afrique. Sans céder à un afro-optimisme béat, l’Afrique noire dispose de sérieux atouts pour aborder l’avenir au premier titre desquels son dynamisme économique, bien que variable selon les pays, et sa puissance démographique (en 2050, 50 % de la croissance mondiale sera réalisée en Afrique). Avec 49 milliards d’euros d’IDE en 2017[1], l’intérêt des entreprises étrangères pour conquérir les 350 millions d’Africains que compte la classe moyenne émergente ne se dément pas. Mais les pièges sont nombreux dans la course pour se démarquer et séduire cette nouvelle clientèle ultra-connectée, exigeante et attentive aux discours des marques et des entreprises.

    Si l’accès Internet reste inférieur à 30 %, les réseaux sociaux sont devenus des plateformes incontournables qui ont fini de concurrencer la place du griot du village (avant-hier) et de la télévision (hier) comme vecteur d’information majeur. Les jeunes Africains – et notamment les plus activistes – s’en sont pleinement emparé pour s’informer et mobiliser leurs communautés, afro-descendantes et diasporas en tête. En janvier 2018, on comptait 191 millions d’utilisateurs actifs des réseaux sociaux. Si Facebook reste le plus populaire et influent (184 millions d’utilisateurs), Instagram (39 millions d’utilisateurs, + 56 % en 15 mois) est de plus en plus prisé par les 18-34 ans et Whatsapp est désormais l’application de messagerie mobile la plus utilisée.

    Penser global et local

    Communiquer vers l’Afrique, c’est donc communiquer vers le monde. Les multinationales doivent y soigner leur communication en conséquence si elles veulent séduire et fidéliser les clientèles locales. Nombre d’exemples récents nous rappellent que l’Afrique n’est pas immunisée contre le « bad buzz ». En janvier 2018, le géant suédois H&M lance sur son site britannique sa nouvelle collection pour jeunes garçons : le cliché d’un enfant noir portant un pull à message « Coolest monkey in the jungle »[2] fait alors scandale. La sanction est immédiate : à Londres, à Los Angeles mais aussi à Johannesburg. Portés par des influenceurs et des anonymes sud-africains, les appels à ne plus travailler pour H&M et à ne plus consommer ses articles se multiplient en ligne ; des magasins sont vandalisés. Si le groupe est contraint aux excuses et au retrait de la campagne, la tension est restée vive plusieurs semaines durant dans un pays – et plus largement un continent – où la question raciale est encore sensible lorsqu’elle n’est pas épidermique.

    « Wakanda forever ! » : l’identité noire, enjeu de communication

    Que retenir de ce « bad buzz » ? C’est probablement l’incroyable succès au box-office africain du film américain Black Panther qui l’exprime le plus nettement. En exaltant un héroïsme noir, Black Panther met en scène l’ambition nourrie par des millions d’Africains pour le continent. Celle d’une Afrique conquérante et créative, belle et libre, fière et protectrice de sa culture. Unis par une certaine conscience panafricaine, par-delà les différences et rivalités, Africains et Afro-descendants éprouvent et expriment le désir commun de reconstruire une identité positive. Ils attendent des entreprises locales et a fortiori étrangères qu’elles reconnaissent et valorisent les spécificités et richesses socio-culturelles de l’Afrique, qu’elles entendent leurs aspirations pour ce continent et ses populations. Cela sans jugement de valeur, avec respect, humilité et sensibilité. Ce sentiment de fierté peut représenter une opportunité pour les multinationales, a fortiori pour celles qui proviennent d’anciennes puissances coloniales.

    Des Africains en attente de contenus valorisants et innovants

    L’enjeu pour les entreprises est de parvenir à adapter leurs stratégies de communication, en termes de contenus notamment. « Tech-savvy », la jeunesse plébiscite des contenus valorisants, léchés et créatifs donnant à voir l’Afrique autrement, à l’image de la plateforme digitale Visiter l’Afrique dans le domaine du tourisme. Certaines entreprises l’ont déjà bien compris, à l’image d’AccorHotels et Air France, avec leur campagne 100 % social media « #MyChicAfrica » visant à changer le regard sur l’Afrique en en valorisant sa facette chic avec l’aide d’influenceurs locaux et issus de la diaspora. Avec près de 12 millions de contacts sur Instagram, l’opération est un succès et incite AccorHotels et Air France à renouveler l’expérience qui se transforme, courant 2018, en un e-magazine lifestyle, innovation, travel et culture.

    Des Africains en attente de communications sur-mesure : le refus du « One size fits all »

    Néanmoins, comme chacun sait, l’Afrique n’est pas un pays, mais une mosaïque de plus d’un milliard de personnes dans plus de 50 pays aux réalités socio-économiques, culturelles et politiques aussi nombreuses que les centaines de langues qui y résonnent. Dès lors, les entreprises se doivent d’adapter leur communication à la diversité des contextes et des attentes locales. On ne communique pas à Abidjan comme à Paris, ni à Lagos comme à N’Djamena. S’adresser à tous en parlant à chacun… tout en préservant la cohérence globale du discours sur le continent et, au-delà, dans le monde. Guinness est parvenue à s’imposer comme l’une des entreprises préférées de la jeunesse noire, grâce à des campagnes publicitaires retissant un lien émotionnel qui se perdait localement depuis quelques années. A travers sa campagne « Made of Black » de 2014, le célèbre réalisateur Sam Brown proposait, sur la chanson « Black Skinhead » de Kanye West, une vidéo aussi esthétique que rythmée, rassemblant des artistes africains célébrant un certain esprit avant-gardiste de la culture africaine. Avec cette campagne multi-primée, Guinness décline localement sa campagne globale « Made of More ». Parler à tous en restant cohérent à tous les étages.

    Des Africains en attente d’entreprises responsables : le refus de l’exploitation

    Enfin, les Africains et Afro-descendants demandent aux entreprises qu’elles fassent la démonstration de leur contribution au bien-être et à la cohésion des communautés locales dans le respect de leur diversité. Elle se doivent déployer des réelles stratégies adaptées à ces préoccupations et attentes prioritaires. De la santé à la sécurité, de l’éducation à la bonne gouvernance, les champs d’action sont multiples et divers selon les régions. En termes de communication, la démonstration de cet engagement et de sa sincérité est centrale. Géant des télécommunications, le Sud-Africain MTN fait figure de modèle en activant deux leviers : son engagement sociétal, grâce à ses Fondations MTN qui investissent fortement dans les domaines de la santé et de l’éducation ; et son soutien aux événements sportifs et culturels, vecteurs de cohésion et de paix dans des pays encore secoués par des tensions profondes. Une stratégie dont s’inspirent directement des entreprises telles qu’Orange et Canal +.

    Très longtemps articulée autour de la seule publicité, la communication des entreprises en Afrique se doit d’être plus aspirationnelle, porteuse de valeurs. C’est une condition sine qua non à la création, la préservation et l’accroissement durable de leur capital-réputation face à des consommateurs de plus en plus citoyens. Un enjeu majeur d’image et de business quand l’histoire coloniale continue à marquer les perceptions africaines d’aujourd’hui.

    Charlotte Bourgeois-Cleary, directrice conseil et Clothilde MBock MBock, consutante Vae Solis


    [1] Etude de l’African Economic Outlook

    [2] « Le singe le plus cool de la jungle ».