16Août2017
Back to basics, par Arnaud Dupui-Castérès
Dans une société qui se caractérise de plus en plus par l’immédiateté et ses corollaires que sont l’absence d’anticipation et de vision stratégique, il est grandement temps de retrouver la notion du temps long.
Photo : Wikimedia Commons – Woodrow Wilson, 28e président américain, ici avec son cabinet, en 1917 en conseil à la maison blanche.
Lorsqu’il s’agit de s’adapter, de se transformer, d’innover, de se développer, rien ne remplace la stratégie. Or, celle-ci demande du temps pour être élaborée et déployée. Les décideurs doivent se poser la question de leur capacité à anticiper, à se projeter, à se donner du temps tout simplement, pour penser leur stratégie et l’implémenter.
Il en est ainsi face aux ruptures (technologiques, géopolitiques, réglementaires, d’opinion…) que toutes les organisations rencontrent et c’est encore plus vrai pour les transformations profondes que connaît la communication.
Anticiper, toujours anticiper
Chacun sait que la croissance d’une organisation est la condition de sa survie (nous sommes, nous Français, payés pour savoir les désastres sociaux et économiques de l’absence de croissance). Les dirigeants ont donc une ardente obligation de penser le futur. Pour cela, il faudrait d’abord cesser de croire que les entreprises peuvent se développer ou se transformer en pilotant à courte vue.
L’anticipation est le maître-mot. Même si tout change vite, même si tout va plus vite, et notamment la circulation de l’information, même si tout est plus instable, ces (bonnes) raisons ne sont pas suffisantes pour s’abstenir de planifier.
Il y a une forme de snobisme à se complaire dans l’immédiate réaction, un culte de la performance immédiate. Cette tendance est au management ce que l’improvisation est aux grands textes dans le théâtre ; c’est impressionnant, c’est amusant, mais ça ne laisse guère de trace dans l’histoire. Il est vain de croire que l’on peut gérer au fil de l’eau, au risque bien souvent de gérer « à la petite semaine ».
En matière de communication aussi, il est plus que temps de redonner un rôle central à la stratégie. Et cela porte notamment un nom : le Spin. Nous en célébrons cette année le centenaire.
D’où vient le Spin ?
En 2017, le « Spin » a un siècle ! Il s’est structuré comme une activité, pensé au service d’une action politique et publique, comme outil de gouvernement, de pilotage des hommes. Le Spin émerge pour la première fois de manière structurée en 1917, quand le gouvernement américain met en place une commission dédiée à la préparation de son opinion publique à l’entrée du pays dans la Première Guerre mondiale.
Le président Woodrow Wilson, réélu en 1916 grâce à un discours pacifiste et un slogan, « He Kept us out of War » (« Il nous a maintenus en dehors de la guerre »), devait justifier son revirement et préparer sa population à une nécessaire entrée dans le conflit. En avril 1917, il créa le Committee on Public Information (CPI). Sa mission : informer l’opinion publique mais surtout créer et renforcer un élan patriotique au service de la démocratie.
Le CPI fut une gigantesque machine utilisant un spectre d’outils de communication très large et particulièrement sophistiqués. Une machine inédite et globale dirigée vers les hommes et les femmes des Etats-Unis, mais aussi ceux du monde entier.
Dès l’origine, il a été agité en son sein de débats contradictoires par ses acteurs sur son rôle, ses fonctions et ses méthodes. Cent ans après, on se demande toujours si le Spin est une arme de propagande, s’il est anti-démocratique ou s’il est l’essence même de la démocratie. Une partie de la réponse tient dans le fait que les démocraties ont une opinion publique dont les dirigeants prennent soin, dont ils doivent s’accommoder et qu’ils veulent souvent influencer. En réalité, le Spin ne prospère que dans les démocraties, parce qu’il est d’essence démocratique. En effet, si les USA n’avaient pas eu une opinion publique, il n’y aurait pas eu de commission dont l’objectif était de convaincre le peuple américain de la nécessité pour leur pays d’entrer en guerre. Le Japon impérial n’a pas réuni de spin doctors pour attaquer Pearl Harbour. De la même manière, il n’y a pas d’hommes d’influence en Corée du Nord, et ceux de Cuba sont dans les geôles.
Le Spin au service des organisations privées
Les Spin Doctors sont devenus des personnages de la vie politique et médiatique, considérés comme sulfureux et incontournables tant leurs influences semblent sans limite. Mais au-delà des contours définis de la vie politique, le « spin » est partout dans les grands sujets de société qui animent le débat public. Il fait l’objet de très nombreux commentaires et analyses dans l’espace public sans toujours être identifié comme tel. C’est depuis des décennies un ensemble de techniques et d’outils mis au service d’une stratégie de communication.
Lorsque l’industrie automobile américaine veut développer son marché, elle vise à l’appropriation de la voiture par les ménages américains au détriment du tramway, alors très développé et dont la seule survivance pittoresque est le très touristique Cable Cars de San Francisco.
Lorsque l’industrie porcine veut contrecarrer le fort développement de la consommation de viande bovine, les Spin Doctors « imposent » le bacon au petit déjeuner et inventent l’oeuf-bacon ! Lorsque des associations s’opposent aux gaz de schiste en France, elles mènent une campagne d’envergure qui aboutit à l’interdiction par la loi de toute recherche et capacité de recensement de la présence de cet hydrocarbure dans les sous-sols français.
Je cite ces quelques exemples anciens et récents, mais les grandes opérations de Spin (plus ou moins organisées, parfois par des entreprises parfois par des mouvements associatifs) sont innombrables au cours des dernières décennies.
Passons sur le sujet sensible des causes pour lesquelles les opérations de Spin sont organisées ; elles peuvent être bonnes ou mauvaises selon où l’on se situe. Elles doivent évidemment s’inscrire dans le cadre légal et acceptable ; elles peuvent faire l’objet d’un débat qui est l’essence même de la vie démocratique, mais le Spin Doctor ne peut et ne doit s’engager que pour des causes défendables.
Au-delà des causes, l’enjeu du Spin est de faire changer les perceptions et les comportements de l’opinion publique. C’est le sujet de la communication stratégique depuis maintenant près d’un siècle. Cela l’est encore davantage dans le monde d’aujourd’hui. Chaque sujet majeur de communication doit être pensé à l’aune de cet objectif. Et cela ne peut se faire à l’échéance de la semaine, du mois ou même du trimestre.
Pour cela, il faut du temps et le sens de l’anticipation. Définir une stratégie de communication suppose en préalable de savoir où l’on veut aller, ce que l’on veut obtenir. Mais une fois ce prérequis posé, la première étape est d’abord de bien comprendre l’opinion publique, ses mouvements et ses ressorts intimes. Quelles perceptions veut-on faire évoluer et de la part de qui ?
La seconde étape est de bien comprendre son environnement concurrentiel. Et par concurrence, nous ne parlons pas ici seulement des concurrents sur notre marché, mais les concurrents en termes de communication et donc d’émission de message. Qui parmi les parties prenantes s’expriment et pour dire quoi… par rapport à nous et notre activité ?
Ensuite, il est nécessaire de bâtir un discours, non pas d’avoir des « éléments de langage » pour répondre à tel ou tel point, mais de réellement construire un corpus qui s’appuiera sur un substrat puissant et une documentation détaillée, qui identifiera et sélectionnera un vocabulaire approprié ; le choix des mots et la bataille de la sémantique sont déterminants. Puis, il faut définir les moyens adéquats et savoir quels leviers utiliser pour être le plus efficace.
Enfin, la dernière étape est de mener une réflexion sur le tempo avec lequel agir.
C’est en réunissant ces conditions et en respectant ces étapes que les acteurs économiques peuvent obtenir des résultats fulgurants, mais ce graal appartient à ceux qui se donnent le temps et pensent le long terme.
Trop nombreux sont ceux qui découvrent au dernier moment un obstacle et malheureux sont ceux qui veulent trouver la réponse la plus rapide avec l’effet le plus immédiat car ils s’en remettent au hasard et à la chance et c’est rarement comme cela que l’on construit une communication pérenne avec des effets durables.
Arnaud Dupui-Castérès, Président
Texte intialement paru dans l’édition 2017 de 365°, le news tank de Vae Solis Corporate
Voir aussi… Les droits de la défense… médiatique, nouvelle condition du procès équitable, par Guillaume Didier, 365° – édition 2017 Au revoir Présidents : entre comédie et tragédie, deux styles pour une inéluctable sortie, par Dorothée Duron-Rivron et Clothilde Mbock Mbock, 365° – édition 2017