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    11Août2017
    Au revoir Présidents : entre comédie et tragédie, deux styles pour une inéluctable sortie, par Dorothée Duron-Rivron et Clothilde Mbock Mbock

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    « Il n’y a pas de passé, il n’y a pas de futur (…), il y a un présent jusqu’au bout, tout est présent, sois présent ». C’est en ces termes que la Reine Marguerite accompagne Le Roi dans le Roi se meurt. Œuvre symptomatique de l’absurde et du tragicomique, la pièce d’Eugène Ionesco aurait-elle inspirée les Présidents sortants Barack Obama et François Hollande ? Car s’ils partagent le même objectif de sculpter leur image dans l’Histoire, les deux recourent à des procédés radicalement opposés pour y parvenir. Quand le premier use du comique et de la légèreté, le second recourt lui à la dramatisation de son discours. Dramaturgie de fins de mandat.

    Après huit années passées à la Maison Blanche, Barack Obama conserve un niveau record de popularité de 55% auprès des Américains. Une réussite indissociable de l’image de « Mr. Cool » que M. Obama et ses équipes de communicants ont su construire et mettre en scène tout au long de ses deux mandats : celle d’un Président accessible et décontracté. Cette image, véritable arme de communication massive, lui a permis de conquérir le pouvoir (voir interview d’Apolline de Malherbe) : elle est aujourd’hui utilisée par le Président et ses équipes pour accompagner sa sortie et l’accompagner dans l’histoire.


    Photo : Lionel BONAVENTURE / POOL / AFP

    Obama ou la fausse légèreté : un show pour l’Histoire

    S’inspirant sans doute de la vidéo The Final Days de Bill Clinton , le recours à l’humour et à l’autodérision donne à voir « Michelle et Barack » : des gens simples et terriblement sympas. Des late shows à l’humour second degré, aux interviews criblées d’anecdotes drôles dans des magazines populaires, les Obama multiplient les apparitions télévisuelles décalées… mais maîtrisées : l’entretien d’embauche post-présidence d’Obama chez Stephen Colbert, le Couch Commander qui le met en scène dans le rôle du retraité chez le psy (interprété par Joe Biden) ou les derniers vœux de fin d’année intégrant un bêtisier avec un Président hilare.

    Toutes aussi drôles qu’elles soient, ces interventions sont avant tout de véritables vecteurs de communication pour marquer l’Histoire de son action et de ses idées. Aidés de ses communicants avec lesquels il écrit et répète des dizaines de fois ses sorties, il fait mouche et valorise son bilan, pour le placer dans une perspective optimiste, à plus long-terme. Il « slammera » son action pendant sept minutes lors d’un slow jamz surprenant sur le plateau de Jimmy Fallon. Il « clashera » M. Trump à l’aide d’une punchline cinglante dans l’émission de Jimmy Kimmel, pour souligner le péril qu’il représente pour le pays. Il étrillera le futur POTUS lors d’un diner des correspondants de la Maison Blanche en recourant à un extrait du Roi Lion pour répondre à la polémique que ce dernier alimentait sur le lieu de naissance de M. Obama.

    Exit l’image d’un Obama distant et froid, trop dans l’intellect, dont il avait pu souffrir à la fin de son premier mandat. Grâce à un savant mélange d’humour et de sérieux, M. Obama quitte le pouvoir en odeur de (quasi) sainteté, avec la satisfaction d’avoir marqué son temps et ses concitoyens. Radicalement opposée, la préférence de François Hollande pour une communication dramatisée condamne le président français à vivre comme le personnage principal de sa propre tragédie, constamment ramené à son inéluctable impopularité.

    Hollande ou le sérieux par affirmation, le choix de la tragédie

    A l’humour, matière dans laquelle il excelle et qu’il contient depuis sa déclaration de candidature, Hollande préfère une communication dramatique pour donner corps au sérieux qu’il entend montrer. Il utilise la forme pour crédibiliser le fond contrairement à Obama qui use de la forme pour valoriser le fond.

    1er décembre, 20 heures, dernier acte de la tragédie écrite par Hollande depuis 2012 avec l’annonce de son ultime renoncement : celui de se présenter à sa propre succession en avril et mai prochain. Les Français se retrouvent face à un Président au visage sombre et la voix nouée, comme sonné, par sa propre décision. La troisième Parque, Atropos [1], coupe le fil. Rideau, alors même qu’il reste encore cinq mois de mandat.

    Le ressort dramatique, Hollande le manie depuis le début de son mandat pour construire son image, son discours, sa posture en recourant presque sans limite à la commémoration, comme si « célébrer l’Histoire » lui permettrait d’y entrer. Mais la pratique excessive de ces commémorations s’est retournée contre lui, elles ont été considérées comme un cache-misère destiné à combler l’inaction du Président. Une stratégie qui prend l’eau, à l’image du Président à l’île de Sein. Les événements dramatiques de 2015 ont changé les choses. La tragédie touche la France, la communication présidentielle s’affirme, rencontre son public.

    Et pourtant, cela ne dure pas. Pressé d’écrire son histoire François Hollande avait entrepris l’écriture d’une autobiographie permanente pour donner de la consistance a posteriori à son action. Les auteurs d’Un Président ne devrait pas dire ça, journalistes d’investigation au Monde, sont ainsi reçus près de soixante fois par le Président entre 2012 et 2016 pour révéler la gravité des décisions d’un Président. Mais une autre vérité, bien plus sévère, émerge : trop tôt – avant la fin du mandat. Avant d’être l’Histoire, ce sont des histoires. Celles d’un Président enfermé dans une posture de commentateur. Hollande n’a pas réussi à donner le ton. Et pourtant, son bilan serait-il meilleur que sa popularité ? l’Histoire le dira.

    [1] Les Atropos sont des divinités du Destin implacable de la mythologie grecque

    Dorothée Duron-Rivron, Associée, et Clothilde Mbock Mbock, Consultante
    Texte intialement paru dans l’édition 2017 de 365°, le news tank de Vae Solis Corporate

    Quatre questions à Apolline de Malherbe,
    journaliste politique – BFM TV

    Vae Solis Corporate : Vous avez suivi l’élection et les campagnes des Présidents Hollande et Obama, quels sont les points communs et les différences, au-delà des différences culturelles ?
    Appoline de Malherbe : Les différences culturelles ne peuvent pas être ignorées. La campagne présidentielle américaine est très institutionnalisée, et les candidats sont traités comme des présidents en exercice, les journalistes, mais aussi les électeurs, sont tenus à distance. A l’inverse, en France, il y a une bien moindre distance, les candidats sont beaucoup plus libres. Au-delà de ces différences culturelles, j’ai constaté au cours des campagnes présidentielles d’Obama (la première) et d’Hollande un vrai point commun, la proximité.

    VSC : Comment s’est exprimée cette posture de proximité souhaitée par le candidat Obama ?
    AdM : Très différemment. Obama a réussi à créer la proximité, en acceptant les petits dons, en donnant la possibilité à tous de l’aider avec des contributions de 2$, alors que l’usage de tous les autres candidats est de se concentrer sur les grands donateurs. Cumulé à sa campagne digitale, c’est une forme de porte-à-porte qui a été mise en place. Il a écrasé la distance institutionnelle imposée par la campagne.

    VSC : Et pour le candidat Hollande ?
    AdM : Hollande a fait une bonne campagne, il a été un candidat proche, des journalistes mais surtout des électeurs. Souvenez-vous de février 2012, par soucis d’économie pour tenir jusqu’à la fin de la campagne, Hollande décide d’organiser un meeting en plein air, à Valence, avec uniquement une sono. Un vrai succès populaire. Un véritable enthousiasme. Il a créé sa marque de fabrique, celle sur laquelle il s’est appuyée pour la suite de la campagne : « Moi, je ne suis pas loin de vous. ». Cette proximité, il va la cultiver jusqu’à la fin : le vendredi de l’entre-deux-tour, Hollande tient deux meetings dans la journée), haranguant la foule jusqu’à la dernière minute : « Il est 23h30, j’ai encore 30 minutes pour vous convaincre, Il est 23h45, j’ai encore 15 minutes… »

    VSC : Quelle est votre perception de leur fin de mandat respective ?
    AdM : Difficile de les comparer. Obama, en fin de second mandat, peut se permettre d’être léger, car il a fait le grand chelem, 2 mandats. Hollande ne peut pas aller sur ce registre car il a échoué en n’étant pas en mesure de se re-présenter. Il aura été meilleur candidat que Président.


    Voir aussi…
    Les droits de la défense… médiatique, nouvelle condition du procès équitable, par Guillaume Didier, 365° – édition 2017
    Back to basics, par Arnaud Dupui-Castérès, 365° – édition 2017