09Oct2012
Le Lobbying en question… Vae Solis s’est entretenu avec Thierry Libaert.
Thierry Libaert sort un nouvel ouvrage*… Pour la rentrée, cet universitaire de renom en Science de l’Information et de la Communication, Professeur à l’Université de Louvain depuis 2008, également maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et membre du Comité Economique et Social Européen (CESE), nous livre un petit ouvrage pédagogique consacré au lobbying.
Des acteurs à la pratique du métier, des méthodes et outils aux questions de déontologie, c’est un véritable « 360° » qui est proposé.
Une manière de dédiaboliser une pratique « vieille comme le monde », devenue une profession très encadrée, parfaitement connue et reconnue ailleurs… mais qui peine ici, en France, à se faire admettre. Y’a-t-il une « exception lobbyiste » française ? Pourquoi ce domaine de la communication est-il s’y mal perçu dans l’opinion ?
Voici quelques questions et autres aspects que nous avons pu aborder avec Thierry Libaert :
* Vae Solis : On vous connait d’abord, surtout pour la riche littérature que vous avez produite sur la communication de crise… pourquoi avoir choisi le lobbying pour thème de votre dernier ouvrage ?
Thierry Libaert :On pourrait dire que ce dernier ouvrage est le fruit de rencontres ! J’ai en effet pu cotoyer et voir travailler des lobbyistes dans ma fonction de conseiller européen ces dernières années ; j’ai présidé un groupe de travail dans la section énergie et transport du Cese à Bruxelles, où je les ai vu « à l’œuvre », leurs fonctionnements, leurs approches, leurs techniques, etc.
C’est cette vision très opérationnelle, cette expérience que j’ai eu envie de « poser », de creuser pour formaliser un ouvrage sur cette pratique ; avec pour objectif de reconnecter ce métier, cette technique dans une approche globale, comme une véritable dimension de la communication.
Elle est trop souvent prise ou mise à part, y compris au plan fonctionnel dans les organisations où le lobbying est souvent à la DG ou au sein des relations institutionnelles/extérieures. Alors qu’elle est, qu’elle doit être, partie intégrante d’une stratégie globale de communication.
Dans ce sens, et en ma qualité de directeur des enseignements de l’Université de Louvain en Belgique, nous venons de monter un grand programme avec 8 universités européennes (Nancy pour la France) dédié aux relations publiques avec une option lobbying. C’est une traduction très concrète de notre volonté d’inscrire le lobbying comme un volet des sciences de l’information et de la communication.
- Vae Solis. Pourquoi le lobbying a-t-il si mauvaise image en France alors qu’il est partout ailleurs considéré comme une condition même de l’exercice démocratique ?
TL. L’image de la pratique est directement correlée à l’image des entreprises. L’image du lobbying est la traduction même de la défiance que l’opinion publique a globalement vis à vis des entreprises en matière d’information. Toutes les enquêtes le montrent : le public a peu confiance dans les entreprises et le lobbying apparait comme l’expression d’une forme d’opacité qui entretient cette distance.
Mais on voit aussi que lorsqu’il est pratiqué par d’autres acteurs de type associations ou ONG alors, la pratique est parfaitement acceptée, et jugée nécessaire.
Ainsi le problème n’est pas un problème de métier, de pratique, mais bien d’acteurs, d’opérateurs. Ce qui est par ailleurs souvent mis en avant sur ces aspects c’est l’inégalité des moyens d’actions entre les entreprises et grands groupes versus les associations et ONG. C’est me semble-t-il un faux problème.
Dans le lobbying il y a une dimension fondamentale qu’est l’accessibilité : comment accéder aux bonnes personnes, comment rendre mon message accessible, appropriable par le plus grand nombre ?
Or dans ce combat pour l’accès, la disproportion des moyens s’estompe : le « capital sympathie » et la capacité de mobilisation des associations et ONG venant souvent largement compenser les moyens et les réseaux des acteurs privés pour accéder aux décideurs.
- Vae Solis. En étant à Bruxelles vous avez un poste d’observation privilégié des différentes pratiques du lobbying ? Diriez vous qu’il y’a une exception française dans la conduite des AP ou du lobbying ? En europe, dans le monde ?
TL. Oui, on peut dire qu’à Bruxelles, le lobbying français est très franco-français au sens où il néglige trop souvent les interlocuteurs étrangers. Sur un sujet donné, les entreprises ou leur conseil ont une approche très nationale : elles et ils vont voir les députés, conseillers et autres membres de commission d’abord Français. Le lobbying anglo-saxon est plus nomade, plus ouvert, plus international.
Il y a une autre caractéristique assez spécifique au lobbying français : c’est très souvent une approche, une démarche conduite en mode « pompier » ! En fait, paradoxalement les Français sont pénalisés par leur proximité avec Bruxelles ; on les appelle les lobbyistes « Thalys » ! Ils viennent en coup de vent, arrivent et repartent aussi vite, sans se donner assez de temps en amont, à froid, pour bien connaitre, écouter, identifier, repérer, cartographier… tout cela demande d’être dans une démarche d’anticipation. Les entreprises françaises en lobbying comme en gestion de crise, ne sont pas suffisamment dans l’anticipation, dans la prévention, la préparation.
* Vae Solis. Quelles sont, quelles seraient selon vous les conditions d’une (re)connaissance en France du lobbying ?
TL. Le lobbying devrait pour une fois prendre la parole pour lui-même ! Et je crois qu’il doit le faire par une démonstration de son utilité et pour cela communiquer sur des résultats ; la dédiabolisation passera notamment par là.
Il faut démontrer et expliquer que le lobbying c’est servir des intérêts certes mais qui ne peuvent pas être des intérêts strictement « catégoriels » ; il faut savoir les dépasser pour embrasser des combats plus large. Un lobbying qui sert des intérêts strictement privés va dans le mur, ne peut pas être efficace.
C’est finalement une activité de négociation ou de compromis et de savoir comment approcher un sujet pour défendre/servir des intérêts en combinant avec ce qui est attendu ou acceptable par d’autres.
Ensuite au plan de la pratique, beaucoup de progrès ont été fait pour encadrer l’activité et éviter les dérives. En France c’est encore assez récent mais l’organisation du métier, le registre parlementaire même s’il reste facultatif, tout cela va dans le sens de la reconnaissance de l’utilité de ce métier.
Des rapports parlementaires de 2004, 2008, 2009, ont organisés progressivement le renforcement du lobbying et la reconnaissance de son utilité dans le travail parlementaire. Cela demande un peu de temps… les perceptions évoluent lentement. C’est pourquoi je pense aussi que la profession doit aussi travailler à son image et mieux assumer sa part de voix dans l’espace public.
- Vae Solis. Quelles sont selon vous les 3 conditions d’un lobbying efficace, réussi ?
TL. Je dirais d’abord qu’il faut être un bon professionnel : Et pour être un bon lobbyiste, il faut réunir un certain nombre de qualités ; avoir un carnet d’adresses ne suffit pas ! Un bon lobbyiste c’est à la fois un stratège capable d’avoir une vision stratégique de la communication ; un bon juriste, la connaissance du droit est indéniablement un plus ; et un bon technicien parce que maîtriser le sujet est évidemment essentiel pour faire passer les bons messages.
Ensuite, sur le fond, et comme toujours en communication, ce qui est déterminant c’est la capacité à formuler son message en fonction de l’objectif et du public visé. Ici en lobbying, l’enjeu c’est l’acceptabilité de mon message : comment faire en sorte que mon interlocuteur partage mon message, mon combat… cela revient souvent à savoir identifier les points de convergences et les marges de négociations possibles.
Enfin, une des clés de succès c’est l’anticipation. Savoir préparer son terrain, identifier la tactique, l’approche, les forces en présence, sentir les mouvements, et savoir préparer – un peu comme aux échecs – toujours le coup d’après !
- Le Lobbying, de Pierre Bardon et Thierry Libaert- collection Les Topos, paru chez Dunod-septembre 2012