02Fév2011
Faut-il se protéger de la Chine ? par Arnaud Dupui-Castérès et André Loesekrug-Pietri, publié dans la Tribune du 2 Février 2011
Il a été très amusant de lire, ces derniers jours, la prose de certains « experts » annonçant que 2010 est l’année qui a vu la Chine émerger. Rappelons qu’en juillet 2010, la Chine est devenu la deuxième puissance mondiale ! Il faut donc devenir la seconde puissance du monde pour que certains perçoivent enfin l’émergence d’un pays !
La Chine, comme d’autres pays, est « émergée » depuis plusieurs années. Seul notre affligeant ethnocentrisme nous aveugle sur un constat qui, à bien des égards, est assez déprimant.
L’Europe, et surtout, la France font le chemin inverse, elles « immergent » doucement mais sûrement. Alors, nous cherchons à nous protéger. Les récentes déclarations du Commissaire européen à l’Industrie, M. AntonioTajani, suggérant la création d’une autorité européenne visant à contrôler les investissements étrangers en Europe est symptomatiques de l’inquiétude des continentaux partout où la présence d’une société chinoise est annoncée.
Il faudrait rappeler un précédent : les cris d’orfraies qui avaient accompagné la création du fonds souverain chinois en 2007, quelques mois avant le début de la crise. Les Européens ont mis leur honneur dans leur poche quand on voit aujourd’hui les sollicitations empressées – presque parfois gênantes – de nombreux pays de voir partie de leur dette rachetée par la Chine. Pour probablement s’émouvoir dans quelques mois de notre soi-disant « dépendance ». Excessif, absence de vision, approche ultra court-terme, à nouveau.
Pourquoi ne pas s’interroger sur les raisons du déclin comparatif de l’Europe ? Peut être pour ne pas avoir à dire la vérité aux opinions publiques.
Pourquoi ne cherchons nous pas à définir une stratégie sur les 20, 30 ou 50 prochaines années ? Ne sommes-nous pas capables de faire ce que les Chinois sont eux capables de faire ?
Pourquoi ne pas renforcer nos points forts, accélérer sur nos capacités industrielles, technologiques, donner un élan à l’innovation et à nos sociétés de croissance ? Pourquoi ces atermoiements sur la grande affaire du 21ème siècle qu’est l’environnement alors que l’Europe avait un leadership technologique et moral incontesté en la matière ? Qu’attendons nous pour imaginer les contours d’une Union européenne puissance mondiale, de ses partenariats stratégiques, avec l’Amérique du Sud, l’Afrique (deux continents avec lesquels l’Europe entretient des liens particuliers), l’Asie du Sud Est, actuellement en pleine croissance, avec l’Amérique du Nord ?
Malheureusement nous n’en semblons pas capables ! Nous n’agissons pas, nous ne prenons pas d’initiatives. Nous encourageons les réactions apeurées et en recherche de protection à tout prix. Nous prenons des demi-mesures qui ne font qu’accentuer le sentiment d’impuissance politique et rendre les décisions suivantes encore moins crédibles dans l’opinion. Nous semblons démunis de notre capacité éprouvée à penser l’avenir, à structurer nos volontés, nos enthousiasmes au-delà d’échéance et de calculs électoraux. Déjà 2012, puis 2014, bientôt 2017, etc, etc. Quelle indécence vis-à-vis de nos concitoyens au vu des enjeux qui sont les nôtres. N’y a-t-il pas plus important que de penser écuries ou pouliches ?
Les Européens n’ont plus de vision de l’avenir, d’ambition pour eux même et de mission pour le monde.
Notre seul et premier réflexe : se protéger, se replier, avoir peur, critiquer, dénoncer la présence. Nous sommes bien placés, nous européens, pour savoir que les autochtones qui se replient sur eux-mêmes ne faisaient pas le poids face à l’organisation et la détermination des conquérants.
Et attention à l’effet boomerang : quand la Chine a investi 48 milliards de dollars à l’étranger en 2009, la France seule en a investi 3 fois plus, soit 147 milliards ! Et l’Europe probablement plus de 500 milliards. Qui envahi qui ?
Alors réagissons ! Sans animosité, sans jalousie pour le succès d’autrui, sans incompréhension vis-à-vis des investisseurs étrangers et notamment à l’égard des plus puissants d’entre eux, les Chinois qui développement une approche comparable à celle des Etats-Unis d’après-guerre avec leur plan Marshall.
Nous pouvons à la fois accueillir les investissements chinois et nous faire respecter. Nous pouvons à la fois vendre certains actifs et rester très compétitifs par notre créativité et notre innovation. Nous gagnerons à accueillir plus d’investissements chinois en Europe – par les créations d’emplois, les investissements, la responsabilisation accrue de ces investisseurs bien plus que pour de simples exportateurs qui n’ont que peu faire de l’impact de leur produits sur les marchés cibles. A l’instar des magnétoscopes de Poitiers dont l’impact avait été ravageur pour l’industrie électronique française et européenne, il faut au contraire plus encourager les implantations étrangères en Europe pour rendre ces investisseurs plus ‘européens’ et plus au fait de nos contraintes et de nos valeurs.
La bonne réaction à l’influence chinoise grandissante, n’est pas le repli sur soi (qui de toute manière ne fonctionnera pas), mais un comportement de vérité et de maturité par rapports aux opinions publiques sur nos atouts et nos faiblesses, une réelle approche stratégique avec des priorités marquées et non plus du saupoudrage – éducation, recherche, grands projets, financement de l’innovation – , et enfin une approche stratégique résolument européenne et non la poursuite de la déconstruction de l’Union actuellement à l’oeuvre.
Arnaud Dupui-Castérès est Président de Vae Solis Corporate
André Loesekrug-Pietri est Président de A Capital