16Juin2010
La manipulation 2.0 : un exemple éloquent
Le 3 juin 2010, l’internaute « Professeur Kuing Yamang », diffusait sur le site de vidéos en streaming Youtube une courte interview au titre évocateur : Cours d’économie du Vénérable Professeur Kuing Yamang – Le Professeur nous parle de l’Europe. La vidéo, d’une durée de 4m 28, prend la forme d’une interview, censée avoir été diffusée sur la chaîne nationale chinoise CCTV, tournée en chinois elle est sous-titrée en français. Elle évoque la situation économique européenne et notamment celle de la France. On y trouve pêle-mêle une critique de notre modèle social, le fait que les européens ne travaillent pas assez, une remise en cause du régime des fonctionnaires ou encore le surendettement endémique des pays européens. A ce jour, la vidéo a déjà été visionnée prés de 250 000 fois.
A en juger par les nombreux commentaires postés sur cette vidéo et les réactions d’observateurs avertis interrogés, le document est perçu comme une véritable interview. Or, ce programme est vraiment un gag ; une fausse interview ! La traduction française n’a aucun rapport avec ce que dit le soi-disant Professeur Kuing Yamang (dont le nom est d’ailleurs plus Breton que Chinois), qui est en réalité Wu Jianmin, l’ancien ambassadeur de Chine en France.
Sur le Net les réactions sont partagées et deux camps s’opposent. D’un coté, ceux qui considèrent ce diagnostic comme « dur mais vrai », « pessimiste mais évocateur »… et, d’autre part, ceux qui dénoncent les Chinois donneurs de leçons (beaucoup plus nombreux) et vivent très mal la remise en cause du modèle européen et français.
Au-delà d’une nouvelle plaisanterie et d’un énième détournement d’identité, cette vidéo et son mode de diffusion posent questions. En effet, en détournant l’identité d’un ambassadeur qualifié (sans doute pas encore au courant) pour aborder la question de la situation économique française, il y a la volonté évidente de ne pas être uniquement sur le registre humoristique Ce constat est d’ailleurs renforcé par le second point. En effet, sur les douze premiers jours de diffusion, les commentaires les plus polémiques sont les seuls autorisés et ceux dénonçant la supercherie ont tous été bloqués, confirmant ainsi la volonté d’influencer plus que de faire rire.
Le mercredi 16 juin, Youtube a bloqué l’option « commentaires », repérant sans doute un début de polémique généré par ce mystérieux internaute.
Cet épisode démontre une nouvelle fois que la question de la crédibilité des médias évoqués par l’institut Pew en novembre 2009 demeure encore largement défavorable aux médias internet comparé aux médias traditionnels. Le second enseignement que l’on peut tirer de ce buzz concerne la gestion des commentaires sur les sites de partage de vidéos en ligne. La modération pouvant être opérée par l’émetteur de contenu et par les administrateurs du site, la valeur des commentaires perd tout son sens.
En effet, la transformation profonde des modes de diffusion de l’information implique la prise en compte par les acteurs économiques et politique du besoin de mettre en place une réelle stratégie d’information sur Internet, au risque de ne pas pouvoir réagir lors d’une crise.
http://www.youtube.com/watch?v=DMKb9A6Kouk