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    18Mai2009
    Europe malade cherche spin doctor… Une analyse d’Antoine Boulay à lire dans La Tribune – 18 mai

    Admin VSC

    ll faut rêver d’Europe. Tout y incite. A l’extérieur : la crise mondiale et ses conséquences, le renforcement continu de la Chine, l’inévitable perte d’influence de nos alliés américains, le retour des protectionnismes. A l’intérieur : l’euroscepticisme, la montée en puissance des populismes, le manque d’adhésion au projet européen de certains nouveaux pays. L’abstention aux futures élections risque d’atteindre des records. A 33% de participation seulement en moyenne selon les projections actuelles, qui pourra dire que les peuples soutiennent la construction européenne ?

    Le rêve, en politique, surtout sur un objet si complexe, est rarement un produit naturel : il ne se décrète pas, il se travaille. Dans les grandes démocraties, c’est le rôle du « spin », de la communication politique. Le spin, c’est l’effet donné à une balle de tennis ou à une toupie. Le « spin doctor » donne au débat le bon « tour » littéralement. Comment donner le bon tour au débat sur l’Europe ?

    L’Union en tant que telle n’a aucune stratégie de communication politique au niveau de chaque pays membre. La Commission ou le Parlement ne se donnent pas les moyens de participer aux débats politiques nationaux sur le sujet européen. Le Président de la Commission n’est pas doté d’une équipe de communication politique propre. Pas étonnant dans ce cas que les égoïsmes nationaux l’emportent le plus souvent dans l’occupation de l’espace médiatique. La dernière présidence française a pu agacer de ce point de vue, mais c’est bien un débat politique européen qu’a essayé de créer le Président de la République. Et quand, à nouveau, une part d’Europe semble en quelque sorte parler d’une seule voix par la bouche de la Chancelière allemande et du Président Français au G20, le cœur et l’esprit de millions d’Européens s’éveillent d’un espoir nouveau. Comment, donc, faire rêver d’Europe ? C’est très simple : il faut innover. Radicalement.

    Les innovations pourraient certes concerner l’élection elle-même. Une idée volontairement iconoclaste aurait au moins le mérite de créer le débat : les électeurs qui se sont mobilisés davantage pourraient par exemple bénéficier d’une « prime démocratique ». Un pays ayant droit à 60 députés en enverrait à coup sûr 45, les 15 restants étant soumis au taux de participation. Un taux de 50%, et ce seraient seulement 52 députés qui représenteraient le pays en question à Bruxelles et Strasbourg… On objectera que cette réforme n’est pas constitutionnelle, qu’elle présenterait des difficultés inextricables de mise en œuvre. Mais le simple fait d’évoquer sa possibilité serait déjà un acte politique fort : la première controverse politique proprement européenne ! Autre idée neuve en France quoique déjà connue et déjà appliquée en Autriche ou au Royaume-Uni, passer du scrutin de liste au scrutin majoritaire sur des circonscriptions territoriales plus proches : rapprocher l’Europe des populations nécessite qu’elle soit incarnée par des figures politiques locales de poids. A l’évidence cependant, ces mesures, difficiles en elles-mêmes, ne pourraient cependant s’appliquer aux prochaines élections, trop rapprochées.
    Plus frappantes encore, et immédiatement praticables, certaines initiatives s’imposent dès maintenant. D’abord et avant tout, les chefs d’Etats et de gouvernement doivent tenir des meetings communs dans les grandes capitales européennes, retransmis en direct à la radio, à la télévision et sur Internet, pour appeler solennellement les électeurs européens à voter. Et il ne s’agit pas seulement de réunions France-Allemagne comme c’est déjà prévu. Imaginons Gordon Brown, Jose-Luis Zapatero, Angela Merkel, Gordon Bajnai (Hongrie) et Nicolas Sarkozy, ensemble, à la tribune. L’espoir européen s’incarnerait enfin et soulèverait un enthousiasme totalement nouveau. De Londres à Varsovie, de Stockholm à Rome, de Madrid à Berlin, de Budapest à Lisbonne, ces « Meetings pour l’Europe » feraient date comme une rupture dans la communication politique de l’Union pays par pays.

    Autre impératif à court terme : créer de vraies représentations permanentes de l’Union dans les Pays Membres, au lieu des antennes sans poids du Parlement et de la Commission. Pour ce faire, pas d’évolution institutionnelle notable, mais une révolution dans le recrutement, tout simplement : les pays membres regorgent d’anciennes personnalités politiques incontestables. Alain Juppé ou Hubert Védrine en France, Joshka Fisher en Allemagne, Pedro Solbes en Espagne etc. pourraient tous assumer cette fonction de « misi dominici » de l’Union et, au-delà des sujets techniques, défendre ses couleurs dans chaque arène politique nationale. Comment se plaindre que l’Europe ne soit pas entendue si elle n’a pas de voix ?

    La Commission pourrait également convoquer régulièrement des Assises des Parlements d’Europe, regroupant l’ensemble des Chambres nationales et le Parlement Européen lui-même, pour avancer par exemple sur la question institutionnelle, les droits civiques, la réflexion prospective, etc. Là aussi, l’image symbolique de 20.000 parlementaires de tout le continent rassemblés permettrait une meilleure appropriation par les populations de l’Objet Politique Non Identifié qu’est l’Union, comme disait Jacques Delors.

    Il faut en finir avec les délégations réduites et les débats d’antichambres : l’Europe a besoin de communication, de symboles, de rites, de cérémonies, de spectacle et de célébrations démocratiques, osons-le mot. Sans quoi c’est bien le spectacle de nos divisions et de nos démons nationaux qui l’emporteront durablement dans le cœur des Européens.

    Si les dirigeants nationaux sont sincères quand ils s’inquiètent du risque de faible participation aux élections européennes, il est temps qu’ils mouillent leurs chemises, qu’ils prennent des risques, et qu’ils innovent… La communication politique, dans ce qu’elle a de plus noble, revient à incarner la démocratie contre tous les populismes. Bien sûr, les mauvais génies de George Bush et de Tony Blair, Karl Rove et Alastair Campbell, ont jeté le discrédit sur la figure du spin doctor… Mais une personnalité plus positive, celle de David Axelrod, créateur du « Yes we can » de Barack Obama, redore le blason de la discipline ! Il y a bon et mauvais spin, tout simplement. Il est temps, en Europe aussi, que le spin se mette au service du rêve… et permette le changement.

    Antoine Boulay, Directeur Associé de Vae Solis Corporate

    www.latribune.fr/opinions/20090518trib000377445/europe-malade-cherche-spin-doctor.html